La mort accompagnée
Théorème: Au seuil de la mort, chacun choisit s’il part seul, ou entouré des siens !
À chaque décès, les absents expriment leurs regrets. « Si je n’avais pas fait ceci, ou cela, si j’étais resté à son chevet, elle n’aurait pas quitté ce monde seule, et je l’aurais accompagné jusqu’à son dernier souffle ! » Mais cette décision n’était peut-être pas de leur ressort, car le départ dépend de la dernière décision du défunt.
La première mort que j’ai vécue est celle de mon grand-père maternel. Le soir de son départ, je travaillais, mais je manquais de concentration, je voulais laisser ma caisse pour me rendre à l’hôpital, et le fait de ne pouvoir rejoindre ma mère me rongeait. Pendant la soirée, ma mère le visita avec ma sœur, et ma tante religieuse, sœur de ma mère, se présenta une demi-heure plus tard, mais personne ne sentit l’imminence de la mort, même s’il répétait, « Il fait noir ! » Une heure environ après leur passage, son médecin avertissait ma mère qu’il était décédé ! Il me semble invraisemblable qu’il ait choisi délibérément de partir seul.
La deuxième expérience qui m’a marquée fut le départ de mon grand-père paternel, hospitalisé depuis deux semaines. Ce jour-là, mon père avait rencontré son médecin pour demander s’il pouvait assister à une réunion familiale à l’extérieur sans craindre l’appel fatidique. Le médecin l’assura qu’il pouvait s’absenter en toute quiétude. Sa sœur avait passé du temps au chevet de mon grand-père, mais elle accepta une invitation à souper. En soirée, ma tante nous avertit que mon grand-père était décédé. Lui, par contre, avait choisi de partir seul !
Je vécus ma troisième expérience au décès de ma sœur aînée. Elle reposait aux soins palliatifs, veillée jour et nuit par son mari, mais un matin, je l’ai remplacé. Cette fois, on m’a offert un café, et j’ai dit à ma sœur, inerte dans son coma, « C’est notre dernier café ensemble ! ». En sortant de l’hôpital, je pensais, « Il ne manque que la neige ! » Je sentais qu’elle nous quitterait sous peu. Entre-temps, mes parents, qui voulait la visiter furent retardés, et à 13 heures, ma mère m’apprenait son décès, et qu’il neigeait ! J’ai répondu, « Elle te salue ! » Elle opta pour son ultime départ l’accompagnement de ses deux fils et de son mari.
Ma quatrième expérience est le décès de mon père. Je cuisinais, puis, comme appelée, je me suis précipitée à l’hôpital, en pyjama. Dans la chambre, les infirmières changeaient le lit, alors, pour respecter leur travail, je contactais ma mère pour lui indiquer le nouveau numéro de la chambre. Quand les infirmières quittèrent la chambre, elles me demandèrent de les avertir de tout problème. Après leur départ, je caressais les cheveux de mon père, et, tout doucement, il a poussé son dernier souffle, en me souriant. Les visites de ma sœur et de ma mère restèrent des projets ! Pour des raisons qui lui appartenaient, j’étais à son chevet pour l’accompagner à son ultime refuge !
La cinquième expérience, c’est le décès de ma mère. En matinée, le médecin m’avertissait de son déclin, et, comme elle ne voulait pas d’acharnement thérapeutique, je souhaitais qu’elle reçoive uniquement des antidouleurs. Ma sœur demeura tout l’après-midi à son chevet et ma mère reposait toujours dans un état comateux. J’assumais une surveillance d’examen le soir, mais je décidai de la confier à mon mari. Mon beau-frère m’amena à l’hôpital, où je devais rester une heure, mais finalement j’y passai la soirée. Quand ma mère sursautait, je lui caressais la tête pour la rassurer. Avant de me rendre à l’hôpital, j’avais signifié à mon mari de me rejoindre dans sa chambre après la surveillance. À vingt et une heures trente, il arriva, et nous repartîmes dix minutes plus tard, souhaitant tout bas une bonne nuit à ma mère avec une dernière caresse à la tête. À vingt-deux heures, la sonnerie du téléphone tintait, et l’infirmière m’annonçait le décès de ma mère. Je présume que ma mère sentait la présence de mon mari, et elle s’est dit « Je peux partir, ma fille est en sécurité! » Possiblement, quand nous avons franchi le seuil de sa porte, elle quittait ce monde.
Dans chacun de ces cas, le mourant retarda ou avança son départ, pour ne pas déranger ses proches, ou, au contraire, pour partager ce moment ultime de la vie qui est la mort. Je suis un témoin pour les cinq, presque un porte-parole. Mon théorème se tient, confirmé par mes évènements historiques, mais le lecteur à son tour se remémorera les morts qui ont marqué sa vie. J’espère que ma présentation facilitera sa réflexion.
nathalie besson