Intelligence
Intelligence mustélidé
Patchouli se tapissait sous la haie de cèdres, et elle humait les délicieuses odeurs que lui poussait la brise des tables où festoyaient les humains. Son estomac et son cerveau se relayaient pour la stimuler à l’action, mais l’instinct fondamental des moufettes la retenait de trop s’approcher des humains. Elle soupira, puis tourna la tête légèrement pour remarquer que Muflier se cachait lui aussi dans un recoin de la haie. Lancer sur les humains, criait un instinct, mais la crainte dominait. Patchouli avait faim.
Les humains se mirent à hurler et à s’énerver, et, une à une, les tables se vidèrent. Patchouli hésita, puis elle avança une patte, puis une autre. De patte en patte, elle se retrouva devant une table. Malheureusement, la table était très haute pour une moufette, mais, heureusement, une chaise offrait exactement la différence qui permettait à une moufette audacieuse de monter. Sur la table, Patchouli se tourna d’un côté et de l’autre, attirée par une odeur connue, poulet, lui dit sa mémoire, et plusieurs odeurs étranges, mais tentantes, se disputaient son attention. Finalement, un goût nouveau la poussa à se saisir d’une bouchée d’un produit blanc et moelleux, et elle en avala une, puis encore une.
Muflier la rejoignit au bout d’un moment, et elle grogna tout d’abord pour défendre sa proie, mais la richesse de la table l’occupait trop pour qu’elle y croie vraiment. Muflier lui laissa une marge, et se glissa vers un autre aliment, une chair qui trempait dans un liquide brun. Muflier réconfortait dans un terrier froid, l’hiver, et Patchouli se sentit à l’aise. Rose des bois arriva, et les deux moufettes lui accordèrent une place aisément. Patchouli lança un doux cri de satisfaction, qui atteignit sans doute plusieurs clans, car une troisième moufette grimpa sur la table, et du coin de l’œil, Patchouli identifia Jasmine et Sauge qui mangeaient sur la table voisine. Bientôt, son odorat l’informa que moufette sur moufette se présentait pour occuper les tables, et profiter des aliments curieux abandonnés par les humains.
L’esprit de Patchouli s’accorda lentement avec celui de plusieurs voisins, et elle salua en pensée Reniflard et Panache, avec qui elle avait passé un hiver tout récemment. «Amitié!» transmettait Reniflard, de même que Muflier, et plusieurs âmes de moufette échangèrent un sentiment de partage. Une communauté mentale et spirituelle se formait pendant que les corps choisissaient les bonnes choses préparées par les humains. Patchouli sentait comme un réveil. «Il faut montrer que P⇒Q est une tautologie», traversa son esprit, et elle perçut, d’une de ses sœurs, «donc, d’après la définition de l’opérateur logique ⇒, il convient de montrer que si P est vraie, alors Q est aussi vraie.»
Le plaisir de la bonne bouffe illumina les âmes des fêtards, puis quelqu’un projeta dans l’esprit commun en création, «Par exemple, voyons que tout nombre naturel qui est un carré a un nombre impair de diviseurs. Soit P : x est un nombre naturel qui est un carré.» Le goût d’un morceau savoureux détourna un moment la concentration de Patchouli, mais elle comprit au bout d’un moment, «Q : x a un nombre impair de diviseurs.»
Une formulation comme une rosée sur un pré traversa tous les esprits réunis. «Le nombre x admet trivialement comme diviseurs 1 et lui-même x.» «Oui,» résonna comme un écho, «comme x=y2 il admet y comme diviseur.» L’âme commune respira un moment, comme un coureur qui reprend son souffle. «Ce qui en fait déjà trois 1, y et x.» Comme un lointain rappel, Patchouli se sentit penser, «Pour tout autre nombre a (différent de 1, y et x), diviseur de x, il doit y avoir un nombre b tel que x=a⋅b.» Une vague spirituelle traversa le réseau. «Le nombre b est également diviseur de x et doit également être différent de 1, y, x et a.»
Une partie de l’esprit se remplit du bonheur de partager de bonnes choses, et les cœurs des moufettes se gonflèrent. Alors, l’âme de la communauté se réjouit comme le dernier accord d’un concerto. «Donc s’il y a d’autres diviseurs que 1, y et x, ils doivent être différents et exister par paires. Le nombre total de diviseurs est dès lors impair.» «Ce qui fait la démonstration» flotta dans l’esprit et dans les esprits de chacun.
La merveilleuse concordance se mit à se fracturer sous les coups du vacarme des humains. Ils revenaient à leurs tables, en vociférant, et en brandissant des objets contondants. Plusieurs chiens, brutaux et gonflés d’adrénaline, chargeaient d’un côté et de l’autre. Les moufettes les plus éloignées réussirent à quitter et à courir de toutes leurs pattes vers les buissons et le bosquet de hêtres qui ornait le coin du jardin. Muflier et Reniflard tournèrent le dos à la meute, et commencèrent à taper un avertissement de leurs pattes avant. Patchouli fit corps avec leur mouvement, et ils lancèrent leur terrible fluide ensemble. Les chiens détalèrent en se lamentant, pendant que les humains arrêtaient et soutenaient ceux qui s’étaient mis à tousser. Patchouli, Muflier, et Reniflard saisirent le moment pour abandonner la table.
Patchouli retrouva sa cachette sous la haie, et se laissa bercer par la satiété. Elle recula hors de la vision des humains, et toucha de la patte ses deux camarades qui se blottissaient près d’elle. À mesure que la peur quittait son cœur, la sieste recouvrit les trois rescapés, comme le crépuscule couvrait le jardin.
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