Mes ancêtres contre l'âgisme !

La jeunesse cherche son identité en omettant de faire référence aux personnes qui la précédèrent, et qui défrichèrent le terrain pour nous amener en 2019 ! L’expérience négative vécue il y a quelques semaines m’incite à entreprendre une incursion auprès de mes ancêtres.

Avec amertume, je me rends compte que mon inattention envers mes sources, dans ma jeunesse, me prive de renseignements pertinents pour comprendre mon propre cheminement ! Les personnes-ressources se retrouvent tous ensemble réunies dans un monde dont nous ignorons l’existence. En écrivant ces quelques lignes, j’entends mes ancêtres dire, « Elle pouvait nous questionner, nous ne demandions pas mieux que de transmettre nos expériences ! » La raison prime l’innocence !

Je cherchais des informations sur mon grand-père maternel, Ludovic Galipault, qui vivait à Sainte-Christine de Bagot ! Lunatique, je me dirige dans la chambre de ma fille, et rendue devant sa bibliothèque, j’étire mon bras vers un livre qui s’intitule « Sainte-Christine 1888-1988 ». J’émerge de ma léthargie en pensant, « Bon, maman, tu essaies d’amoindrir mon ignorance en me remettant entre les mains ce livre que j’ignorais posséder ! » Évidemment en le parcourant, je décèle quelques indications me permettant d’élucider certaines de mes interrogations !

Je mentirais en avouant que je ne connais rien de mes grands parents maternels, eux qui ne dégageaient que de l’amour, qui n’élevaient jamais la voix, et qui manifestaient beaucoup de générosité à notre égard. Des personnes sereines ! Aussi loin que je me rappelle, je trouvais que la fin de semaine tardait à arriver, étant donné que chaque samedi nous prenions la route vers Sainte-Christine et nous revenions après le souper du dimanche. Quand nous approchions de notre destination, nous voyions progressivement les arbres qui enfermaient leur maison dans un cocon ! Quand nous franchissions la clôture et nous apercevions la maison blanche, je me sentais dans un Eden qui m’appartenait ! Mes grands-parents vivaient dans l’opulence, mais pas dans le sens d’une richesse matérielle, plutôt dans le sens du cœur où émanait l’amour, la sérénité, et l’harmonie. À quelques mètres de la maison, nous retrouvions l’étable où cohabitaient trois vaches, des poules, et deux chevaux prénommés Catin et Bijou. En avançant vers l’arrière de l’étable, nous pénétrions dans le fenil où nous nous amusions à sauter du haut de l’étable dans le foin qui étoffait le plancher !

Au loin, un ruisseau, à quelques mètres de la maison, semblait nous appeler pour nous faire bénéficier de son ronronnement paisible, où des menés s’agitaient dans cette eau limpide. Nous émergions des bocaux dans l’eau, que quelques petits menés osent s’aventurer dans notre bocal, et par la suite, nous leur redonnions leur liberté. Un jeu simple qui ne les blessait pas, mais qui nous amusait ! Après cette détente, nous continuions notre aventure sur la terre de mon grand-père et nous allions nous réfugier dans un recoin rempli de sapins dont l’odeur nous enivrait.

À l’extérieur, mon grand-père nous avait installé deux balançoires avec des cordes et deux planches pour former le siège, les cordes attachées aux branches des érables ! Je présume que nous vivions des différends, vu que nous étions quatre enfants à nous partager les deux balançoires. Dans ce havre de paix, en plus des érables, des pommiers se suivaient le long de la clôture en attendant que l’on étire nos petits bras pour cueillir une pomme et alléger ses pauvres branches.

L’humble maison à deux étages de mon grand-père m’invitait à explorer leur passé. La maison était humble par ce qu’aucun luxe n’existait, mais tout reluisait de propreté. Pour nous servir de l’eau, nous devions manœuvrer la pompe en gardant toujours de l’eau à notre disposition pour la recharger. Mon père, plombier, avait installé une toilette dans un espace restreint de la cuisine, et un seau d’eau demeurait à notre portée pour évacuer la toilette que nous devions remplir après l’avoir utilisé. Cette installation de base nous évitait d’aller à l’extérieur pour soulager nos besoins, mais oublier le bain, le puits ne permettait pas une telle disposition. Quand nous voulions nous laver, nous pompions l’eau et la réchauffions sur le poêle avant de procéder. Deux poêles remplissaient la façade de deux murs, l’un en face de l’autre, dont un au bois et l’autre à l’électricité, mais oui, à l’électricité. Par contre, nous ne connaissions pas le réfrigérateur ! Une grande table régnait sur le bord du mur fenêtré, dans la confortable cuisine, où plusieurs chaises espéraient les visiteurs. Au côté du poêle à bois, deux chaises berçantes dormaient paisiblement en attendant de bercer un des invités, dont une que mon arrière grand-père avait bricolée, une berçante que je possède encore. En arrière des berçantes, face aux fenêtres, de hautes armoires garnissaient le mur et on y retrouvait des pots remplis d’arachides, de tuques au chocolat, et de biscuits qui vivaient pour être dégustés. Évidemment, ces gâteries avaient été placées expressément sur une tablette, pour que nous puissions nous servir sans devoir leur en demander ! Quand je mentionnais que tout respirait l’amour, voilà une autre preuve ! À l’étage, quatre chambres nous attendaient chaque fin de semaine !

Au bout de la cuisine, un salon s’étendait au-delà d’une porte, mais nous devions nous abstenir d’y aller, c’était le lieu de travail de ma grand-mère qui s’affairait à répondre au Central et à acheminer les appels aux destinataires. Je précise, le Central était un appareil complexe où tous les appels se regroupaient. À cette période, le téléphone à cadran et le cellulaire n’existaient pas, seulement une boîte brune au mur d’où émergeait une forme de cône pour écouter et parler. Les villageois, quand ils attendaient la sonnerie, soit un grand coup, et deux petits coups, connaissaient le destinataire, et beaucoup de monde décrochait pour être à l’affût de la nouvelle, et c’est probablement ce qui alimentait les discussions sur le perron de l’église.

Les maisons intergénérationnelles fleurissaient à cette époque, preuve que nous n’avons rien inventé ! Du salon, une autre porte nous dirigeait dans un mini corridor face à une porte à laquelle nous n’avions pas accès ! Plus tard, je m’aventurai à franchir cette porte intimidante, même si l’anxiété me rongeait, et je découvris une lumineuse pièce où un genre de comptoir de cuisine me regardait à ma droite, et une autre table de cuisine me surveillait au centre de la pièce, garnie d’une berçante. À ma gauche, je découvris une nouvelle porte fermée. N’écoutant que mon courage et ma curiosité, je me hasardai à confronter cette porte en l’ouvrant, où un lit et deux commodes me cernaient en m’indiquant la sortie. Sans perdre de temps, je rebroussai chemin en essayant de ne pas alerter mes grands-parents qui jasaient dans la cuisine, mais je me disais, mission accomplie ! Bien sûr, je quittai cet appartement à pas de chats, ne souhaitant pas attirer l’attention sur mon indiscrétion. Ce voyeurisme m’amena à interroger ma mère sur l’existence de cette porte et elle m’expliqua, « Mes grands-parents habitaient avec nous, et c’était leur nid ! Ils ont agrandi la maison quand mon père épousa ma mère, pour préserver mutuellement leur intimité ! » Je venais d’apprendre que mes grands-parents pouvaient vivre avec leurs enfants, tout en se respectant ! Que voilà un bel exemple pour les familles aujourd’hui qui envoient la plus ancienne génération au CHSLD et la plus récente au CPE, salmigondis de sigles !

En feuilletant le livre du centième anniversaire de Sainte-Christine, je découvre que le nom actuel n’existait pas, mais qu’il faisait partie de la paroisse de Saint-André d’Acton ! En 1864, les signataires d’une pétition, dont mon arrière-grand-père, demandaient de détacher les lots 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23 et 24 pour les annexer à la Pointe d’Acton après avoir détaché cette dernière de la paroisse de Saint Fulgence-de-Durham, pour les réunir en une seule paroisse. Le lot 17 fut accordé à mon arrière-grand-père Bénoni Galipault, lot qui représente une partie de mon enfance ! L’épouse de mon arrière-grand-père, Lucinda Witty, mon arrière-grand-mère, qui devait être à ce moment-là âgée d’au moins quatre-vingt-dix ans, assista ma mère après l’accouchement de ma sœur aînée. Ma mère me parlait de sa grand-mère dans des termes élogieux. Par exemple, elle lisait beaucoup, des livres en anglais évidemment, elle écoutait des disques sur son gramophone toujours en anglais, des cylindres bleus qui se glissaient sur le tourne-disque de l’appareil. On tournait la manivelle pour le mettre en marche, et l’aiguille se déposait alors sur le disque. Nous nous imaginons loin des sonos qui existent aujourd’hui ! Ma mère me répétait souvent que sa grand-mère était cultivée, mais elle regrettait que sa grand-mère s’adressât à elle seulement en français ! En effet, cela aurait été amusant d’apprendre une langue étrangère !

Ma mère, petite, ne manquait pas d’admiration pour son grand-père Galipault, qui semblait la gâter beaucoup. D’ailleurs elle me raconta une histoire très bouleversante au sujet de son grand-père. Je ne suis pas en mesure de vous indiquer son âge lors de cet événement. Dans les années 1920, mon arrière-grand-père souffrait de maux de tête insupportables, au point qu’il ne pouvait s’abstenir de crier sa douleur, cris qui dérangeaient les villageois. Les bons villageois firent appel au curé de la paroisse pour faire enfermer mon arrière-grand-père à Saint-Jean-de-Dieu à Montréal, en prétextant qu’il manifestait de la démence. Le bon curé réussit à le faire enfermer, mais avant son départ, il dit à mère, « Ne t’en fais pas, ma petite fille, je ne suis pas fou ! » Après son décès, mes grands-parents apprenaient de l’hôpital que mon arrière-grand-père était mort du cancer du cerveau ! J’espère que les villageois, et le curé qui le firent enfermer croupissent à un endroit que je ne nommerai pas ! Cette histoire nous empêche de croire aux âges d’or, car nous ne voudrions plus connaître cette peur et cette ignorance, et chaque génération doit affronter une nouvelle version du mal.

Mon arrière-grand-père Bénoni défricha le lot 17 et plus tard, Bénoni fils, Candide et Ludovic, mon grand-père, aidèrent leur père à poursuivre le débroussaillement de la terre. Ses deux fils, Candide et Bénoni, émigrèrent aux États-Unis, tandis que mon grand-père Ludovic s’installa avec ses parents pour cultiver la terre. Ses sœurs firent leur vie au Québec.

Mon grand-père Ludovic épousa Marie-Anne Chapdelaine, mais étrangement, le prénom que je connaissais était Éva, prénom que sa famille utilisait pour l’interpeller. La sœur et le frère de ma grand-mère, oncle Willy et tante Rosance, ainsi que leurs conjoints, jouaient le rôle d’oncle et de tante, au même titre que tante Christine, la sœur de ma mère, religieuse dans la congrégation des Sœurs de Marie de la Présentation. La famille nombreuse n’existait pas du côté de ma mère, pas plus que les cousins ou les cousines. Je me remémore un événement relaté par ma mère : oncle Willy demeurait à Montréal, et, pour visiter mes grands-parents, il prenait le train jusqu’à Acton Vale et de là, il marchait seize kilomètres pour se rendre à leur maison. Quand il arrivait à sa destination, pour ne pas déranger mes grands-parents, il se dirigeait vers l’étable pour se monter son nid et récupérer un peu de sommeil. Il dormait entre deux et trois heures avant de se lever vers 6 heures du matin pour traire les vaches et donner à manger aux autres animaux. Lorsque mon grand-père se rendait à l’étable, il apercevait mon grand-oncle qui terminait le travail, en plus d’avoir passé par le poulailler et ramassé un panier d’œufs frais. On imagine son étonnement, s’il savait que des gens s’habillent en collants pour courir quelques kilomètres, et que la télévision dépense temps et argent pour leur laisser le loisir de raconter cet exploit.

Je poursuis ma lecture en feuilletant les pages, et je découvre avec une grande fierté que mon grand-père Ludovic occupait le poste de commissaire d’école de Saint-Christine (1918 à 1924), et celui de président de la même commission scolaire en 1924 ! Je savais qu’il attachait de l’importance à la scolarisation, mais de son parcours, personne, et même pas ma mère, m’en parlait. Mes grands-parents ne se vantaient pas de leurs exploits, et probablement qu’ils gardaient secrètement leurs expériences ! Ma mère ne devait pas connaître ce cheminement de son père compte tenu de son âge, environ 4 ans ou 5 ans quand il a quitté son poste. Elle l’a sûrement appris en consultant ce livre. Heureusement que ce livre du centième anniversaire existe, et je retrouve avec émotion les lignes en feutre bleu que ma mère a tracées autour des événements qui concernaient sa famille ! En écrivant ces lignes, je prends conscience que je suis la seule et l’unique responsable de mon impéritie ! Ma mère possédait ce livre depuis 1997, et jamais ma curiosité n’a produit une flamme d’intérêt !

La sœur de ma mère, tante Christine désirait devenir religieuse, pour ne pas être contrainte à servir un homme toute sa vie, disait-elle. Tante Christine compléta sa formation d’enseignante à seize ans, mais pour être admise dans la communauté, elle devait avoir atteint ses dix-huit ans. Pour combler ce déficit, elle enseigna deux ans à l’école de Sainte- Christine, soit 1933 à 1935, et à la fin de l’année scolaire, elle fut acceptée dans la communauté. Pour son acceptation dans la communauté, mes grands-parents déboursèrent la somme de mille dollars pour qu’elle poursuive son éducation. Ce montant devait être exorbitant en 1935 ! Ma mère me raconta que la sœur de mon grand-père, tante Anastasie, prêta des vœux dans la même communauté que tante Christine, mais que ses parents ne purent payer que 500 $ dollars pour son entrée, montant qui n’incluait pas son instruction. Tante Anastasie servit ses consœurs toute sa vie, ce qui ne l’empêcha pas de passer beaucoup de temps à la bibliothèque pour parfaire son instruction. À une certaine période, me murmure ma mémoire, elle enseignait l’Enseignement ménager, une matière qui préparait les jeunes filles à gérer une maison, un budget familial, et à élever une famille sans les appareils modernes ou les boutiques en ligne ! Cette formation comprenait l’entretien d’un jardin potager, donc les diplômées n’avaient nul besoin d’un guide alimentaire canadien ! Nos grands-mères cuisinaient des carottes qu’elles avaient elles-mêmes élevées depuis l’enfance !

Chez mes grands-parents, nous mangions toujours de la nourriture fraîche. Notre ordinaire se composait de légumes frais cueillis du jardin, du lait chaud des vaches tout juste trait par mon grand-père, des œufs frais du jour, des poules qui venaient d’être abattues et du bœuf frais qui arrivait directement de chez un voisin. Ma grand-mère, avant de se marier, cuisinait à l’Hôtel d’Acton Vale, donc vous pouvez imaginer que les repas qu’elle nous mitonnait se dégustaient comme de petits pains chauds, et je ne doute pas que ma grand-mère en boulangeait pour vrai ! Les pommes, qu’elle venait de cueillir dans le verger, servaient à concocter de délicieuses tartes aux pommes, sans oublier les délicieux gâteaux, dont un aux épices avec un glaçage blanc que j’affectionnais particulièrement. Malheureusement, la recette du glaçage a disparu avec son départ. Pourtant, ma mère avait hérité de sa mère cette facilité à préparer de délicieux repas, mais la recette du glaçage n’a pas suivi, comme les œuvres d’Aristote englouties dans la tourmente de l’histoire !

La parenté se réunissait souvent chez mes grands-parents, des deux côtés de la famille, et on retrouvait mes grands-parents, leurs frères et sœurs avec leurs conjoints, au point que je sentais que c’était toujours la fête dans leur maison ! Ma mère me raconta une anecdote savoureuse à mon sujet. Lorsque j’avais environ trois ans, des parents du côté de mon grand-père les visitaient, et tout à coup je fis irruption dans la maison, fière de moi, tenant à la main la peau d’une poule récemment plumée, pour raconter aux invités, « Je viens de trouver la robe de la poule ! » Les éclats de rire fusaient dans toutes les directions, souvenir dont je ne me rappelle pas, évidemment ! Je sais que je suivais mon grand-père partout à cette période et j’observais tout ce qu’il faisait. Donc, je l’avais aperçu en train d’enlever la robe de la poule ! Je présume que dans ma tête d’enfant, j’ai fait la relation avec ma poupée que j’habillais et déshabillais, et je voulais qu’il remette la robe à la poule !

Cet accès à des aliments frais avait contribué plus qu’au plaisir de la table. Ma mère m’a raconté, entre autres, les problèmes qu’ils ont vécus pendant la guerre 1939-1945. Le rationnement de beaucoup de produits, comme le sucre et le sel, les empêchait de se nourrir convenablement. Ils détenaient des coupons qu’ils utilisaient chaque semaine pour s’approvisionner, mais les limites draconiennes du rationnement imposaient souvent des manques de certaines denrées. Heureusement, leur jardin leur permettait de manger des légumes frais, comme leur mini-verger de croquer des pommes fraîches. Mais les humains vivent de leurs croyances et de leurs imageries. Ma mère m’a aussi avoué, « Mon père tuait ses veaux et les laissaient sécher sur le tas de foin. Il dédaignait cette viande ! » Dubitative, j’ai exprimé mon scepticisme à ma mère. « Vous manquiez de viande, et le veau est une viande tendre ! » Je me rappelle d’avoir initié ma mère à manger du veau, mais au début, elle réagissait négativement ! Je comprenais que son goût lui était légué par les habitudes et les plats de mes grands-parents ! Nos goûts sont créés dans notre jeunesse, et nous n’aimerons vraiment que ce nos souvenirs nous suggèrent.

La vie à la campagne ne serait pas possible sans la collaboration des chats, et l’agriculture, ni la civilisation, n’aurait été concevable sans eux. D’ailleurs, le pays qui ne gagne pas l’aide de chats connaîtra des famines ! Leur rôle, surtout, était et demeure le contrôle des rongeurs, qui s’attaquent aux réserves, mais pas seulement aux réserves. Ma mère se souvenait de souris cachées dans le pain. Ma grand-mère avait boulangé un délicieux pain, qui se mit à danser le menuet sur la table de cuisine. Mon grand-père trancha le pain, et trois souris se précipitèrent dans un sauve-qui-peut, ou sauve sa queue, général. La chatte de la maison, une vigoureuse chatte d’Espagne nommée Barbouille, sans doute pour ses teintes, se lança à leur poursuite. Cependant, elle se tourna d’une souris à l’autre, et son incertitude permit aux rongeurs de se faufiler par les interstices du mur. Il ne faut pas courir trois souris à la fois. Barbouille ne se contentait pas de combattre la vermine. Un dimanche, mes grands-parents partirent pour la messe en laissant Barbouille avec l’injonction de protéger ma mère, alors âgée d’environ trois ans. Quand mes grands-parents revinrent, Barbouille était allongée sur les jambes de ma mère, garantissant qu’elle n’irait nulle part.

Barbouille demeura longtemps un personnage clé de la vie de ma mère. Elle devait avoir environ 8 ans, et elle accompagnait ses parents à la messe. Pendant l’Introït, elle sentit un chatouillement dans son dos. Elle n’y prêta pas tout de suite attention, mais pendant le sermon, entre deux bâillements, elle se rendit compte que des pattes se promenaient de temps en temps sous son manteau. Trop gros pour être une mouche, assez petit pour rester sous le manteau, elle se convainquit assez vite qu’elle transportait une souris, sans doute pieuse, qui s’était faufilée malgré la vigilance de Barbouille. Nous pouvons peut-être supposer que Barbouille, animée d’un esprit chrétien, avait accordé une permission spéciale à la souris, peut-être parce qu’elle avait été sage ! Par prudence, ma mère s’excusa d’aller communier, de peur que la souris saute sur la patène, ce qui priva hélas la souris des consolations de l’Eucharistie ! La souris raconta-t-elle sa mésaventure à la chatte ? Ont-elles prié ensemble ? La seule certitude, c’est que la civilisation se serait écroulée sans la fidélité des chats.

Le féminisme moderne n’a rien inventé dans la collaboration entre l’homme et la femme. Ma grand-mère confectionnait tous les vêtements pour sa famille, elle exécutait les tâches ménagères, sans aspirateur ou sac de plastique, elle entretenait son jardin, qui fournissait tellement d’aliments nécessaires. L’hiver, elle s’occupait des animaux de la ferme, du train et de la traite, pendant que mon grand-père s’absentait pour aller bûcher du bois, pour rapporter un peu d’argent, vivant une époque sans subventions et plans-cadres, et aussi pour se chauffer pendant l’hiver ! Il ne partait pas pour une journée, mais pendant des semaines. À l’époque de l’enfance de ma mère, comme depuis des générations, les défricheurs se couchaient et se levaient au rythme du soleil, car ils n’avaient pas d’électricité. Ma mère, jeune fille, étudiait à la lueur d’une lampe à l’huile quand la noirceur venait. Je suis émue à l’évocation du courage de mes ancêtres, qui ont défriché et labouré ce pays, qui ont entrepris la marche vers l’éducation, en finançant les écoles de rang avec leurs pauvres moyens, rêvant du jour où leurs petits-enfants, peut-être, fréquenteraient le CÉGEP et l’université. Tout ce que nous avons, nous le devons à leur patience, à leur sueur, et souvent à leur sang !

Je termine mon rappel de mes ancêtres maternels, non pas par nostalgie, mais pour aider les générations qui nous suivent, à découvrir d’où vient leur monde, qu’il ne s’est pas tricoté tout seul, et que ce qu’ils ont a été arraché de la terre par leurs prédécesseurs et comprendront mieux ce qui existait avant eux ! Souvent, les plus jeunes ne savent pas que la vie confortable qu’ils connaissent a été payée en sueur et en larmes par leurs prédécesseurs. Leur vie n’était pas facile, et ils œuvrèrent durement pour faire vivre leur famille, avec des moyens restreints sans crédit d’impôt, d’allocation familiale, ou de CPE !

nathalie besson

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