Quand l’univers nous donne rendez-vous !


La nature décide de notre départ terrestre sans notre approbation. À l’automne 2022, mon beau-frère de Vancouver, Luc, profita d’une certaine accalmie pour visiter sa famille. Il fonctionnait comme un automate consacrant une ou deux nuitées chez chacun de ses proches. 

Une grande vulnérabilité émanait de ses yeux, qui normalement nous affrontaient sans réserve. Au mois de mars 2022, il avait subi une ablation de son rein gauche pour un cancer rare. Il nous confirma que l’opération s’était bien passée et que son oncologue avait réussi à enlever toute trace de la maladie. Tout en jasant pendant sa courte visite, il mentionna qu’il ne connaissait pas son frère Pierre, mon mari! Stupéfaite je m’enquérais, «Pourquoi me dis-tu que tu ne connais pas Pierre?» «J’avais cinq ans quand il a quitté la maison pour aller à l’université, alors que lui en avait seize!» J’avoue que je prenais conscience de la différence d’âge après quarante-sept ans de vie commune avec mon mari. En me couchant, j’analysai la situation, car lorsque mon mari parlait de ses frères, je sentais beaucoup d’inclusion et jamais je n’ai perçu la différence d’âge entre eux, même si je le savais! 


Après plusieurs points d’interrogation, je perçais le mystère! Il m’indiqua lors de cette conversation que si ses parents annonçaient la venue de Pierre, il se répétait, «Pierre, Pierre?» Pierre mesurait six pieds et deux pouces, et probablement l’enfant de cinq ans découvrait une figure parentale! Malheureusement, pendant sa courte visite, nous n’avons pas réabordé le sujet et je le regrette amèrement! 


Plus tard, il me parla de la construction de la maison de ses parents à Casselman et il me confia, «J’étais seul avec papa, je terminais plus tôt pour préparer le souper pendant que papa fignolait ce que nous avions entrepris pendant la journée. Nous avons vécu de beaux échanges pendant ces moments privilégiés!» Quand il me relatait ce fait, je voyais dans ses yeux des pétillements de bons souvenirs. 


Après la deuxième nuitée, il quitta la maison vers midi pour se diriger chez la fille de son autre frère. Sur son départ, nous nous tenions dans l’entrebâillement de la porte, et c’est alors qu’il insista à deux reprises en montrant la maison, «C’est la dernière fois que je viens!» Je le fixais avec un sourire béat, je ne comprenais pas le message qu’il voulait nous transmettre. En rentrant, je vérifiai auprès de mon mari s’il avait entendu la phrase fatale de Luc, mais non, il n’avait pas entendu! Je suis restée bouche bée incapable de l’interroger sur le moment, et il nous quitta ainsi!


Au début de décembre, j’effectuais une surveillance et mon esprit était accaparé par Luc. Je trouvais impensable cette insistance, et en revenant chez moi, je fis part de mon senti à mon mari et il téléphona à son frère pour avoir des nouvelles. Il apprit que le cancer de Luc était réapparu et qu’une masse insidieuse poussait à l’arrière de son rein. Pendant les jours et les semaines qui suivirent, son état physique se dégrada à vue d’œil, et il devenait de plus en plus captif de son corps qui n'en pouvait plus. Mon mari entreprit des démarches pour identifier des ressources d’aide autant au niveau psychologique que pour effectuer les tâches ordinaires de la maison, telles que les repas, mais toutes ces démarches se sont avérées vaines! 


Il y a trois semaines, nous apprenions que son frère Marc avait fait preuve d’altruisme en allant chercher Luc à Vancouver et en le ramenant chez lui dans sa maison, la maison de Casselman que Luc avait construite avec son père. Luc pourra partir en paix dans la maison qui lui rappelle les bons moments passés avec son père. Il voulait revenir finir ses jours avec sa famille, et dans son inconscient cette maison devait être la sienne !


Une question demeure à laquelle je n’obtiendrai jamais de réponse. L’oncologue lui a-t-il offert un traitement en immunothérapie, qu’il aurait refusé dans son entêtement à rejeter l’autorité? Il n’aimait pas visiter l’hôpital et encore moins y séjourner! Il a manqué plusieurs traitements dans les deux derniers mois, puis finalement il était trop tard, son cancer avait envahi son foie et les métastases s’en donnaient à cœur joie! D’ailleurs lors des conversations avec mon mari, il répétait souvent qu’il avait mal géré la situation ! Était-ce un aveu dans le non-dit ?


Habituellement, je suis à l’écoute des signes, mais cette fois-ci, j’ai raté la cible ! La seule leçon que je peux tirer de cette histoire est, N’hésitez pas à poser des questions si des proches émettent des commentaires qui sorte de l’ordinaire ! 


Je vois Luc le moment venu, s’envoler et prendre le temps dans sa dernière excursion de saluer tout les membres de sa famille ainsi que ses amis proches! 


Je mentionne en tout dernier lieu, le dessin que vous retrouvez au début de l’article, c’est une œuvre de mon mari Pierre qui représente la réunification des trois frères. C’est peut-être une façon de faire son deuil face aux événements sur lesquels nous n’exerçons aucun contrôle !