Extra-terrestre !

Depuis quelques années, les Terriens découvrent des phénomènes inexplicables et étranges qui se passent autour eux ! Des recherches exhaustives ont été effectuées pour justifier ces événements, mais leurs fouilles se sont avérées vaines.

Un couple humain se présenta chez un thuriféraire. « Comment allez-vous, Cajetan ? » dit celui-ci. « Quoi ? » Le bruit que Cajetan entendait à chaque question ressemblait à, Clic Clac ! Il interrogea sa femme. « Auxilia, entends-tu la question du docteur ? » Elle le regarda, penaude, et réagit, « Regarde sur son bureau, on y voit une machine qu’il ne cesse de faire bouger ! » Cajetan devenait de plus en plus perplexe. « Quoi ? Tu dis qu’il travaille comme une machine ? » « Non, sa machine fait clic-clac à chaque question, même si on ne répond pas ! »

Cajetan n’avait pas dit son dernier mot. « Docteur, il semble que vous travaillez comme une machine ? » Le docteur le regarda. « Bon ! Je vous revois dans un mois ! » Clic-clac ! Cajetan, désemparé devant l’attitude du docteur, lui fit remarquer, « Vous n’avez pas pris ma pression ! » Le docteur commençait à s’impatienter. « Je vous regarde, et je ne doute pas que votre pression va bien. » Clic-Clac ! « Quoi ? » Auxilia regarda son vieux. « Il dit que tu es en train de lui monter sa pression ! » « Quoi ? » Cajetan pensa soudainement, « Auxilia, il n’a pas vérifié ta santé ? » Auxilia interpella le docteur. « Et moi, allez-vous vérifier ma santé ? » Le docteur, hors de lui, demanda, « Quelque chose de nouveau vous a frappé depuis votre dernière visite ? » Clic-Clac ! Auxilia s’esclaffa. « Docteur ! Vous savez que mon vieux et moi nous ne pouvons plus nous reproduire ! »

Le docteur devenait de plus en plus irritable malgré le clic-clac. « Êtes-vous sourde ? » « Mais non, mais non, ce n’est pas un dialogue de sourds ! » Auxilia s’aventura à lui poser une question « Êtes-vous médecin pour les personnes âgées ? » Le médecin, complètement déstabilisé par la question de sa patiente, réagit nerveusement, « Pourquoi me posez-vous cette question ? » « J’ai entendu dire qu’il existait des spécialistes pour toutes les personnes ! » Clic-Clac ! Cajetan observa sa femme qui ne répondait pas, et dit, « Auxilia, répond au médecin, il vient de te demander comment va ta digestion ? » « Quoi ? Mon élimination ? » Le médecin rectifia le tir en lui mentionnant qu’il était gérontologue, et qu’il traitait les personnes âgées ! Cajetan sursauta. « Vous êtes Usurologue ? Un travail d’un grand intérêt ! »

Le médecin s’impatienta de plus en plus, et les dirigea vers la sortie. « Merci, je vous revois dans deux mois ! » Ils entendirent à l’extérieur de la porte, Clic Clac ! Cajetan et Auxilia, complètement désemparés face à la réaction du médecin, se questionnèrent. « Cajetan, pourquoi le médecin ne prend-il pas nos signes vitaux, et pourquoi ne répond-il pas à nos questions ? » Cajetan s’adressa à son épouse d’un ton sarcastique. « Il souffre de surdité avancée ! » Auxilia réfléchissait à la réponse de son mari et proposa l’hypothèse suivante : « J’ai l’impression qu’il pense la même chose de nous ! » Cajetan ajouta, « Il m’énerve avec son clic-clac et ce bruit me distrait ! Peut-être que nous avons des problèmes parfois à déchiffrer leur langage, surtout quand il parle sur le bout de langue ! »

Cajetan et Auxilia poursuivirent leur réflexion. « Cajetan, te rappelles-tu, dans le temps, les médecins venaient à la maison, prenait le temps de discuter avec nous, ils blaguaient et ils nous traitaient comme des humains à part entière ! » Cajetan réfléchissait aux observations de sa femme et une tristesse indescriptible se lisait sur son visage. « Tu as raison, Auxilia ! Ils étaient disponibles jour et nuit, soignaient même ceux qui ne pouvaient payer leurs honoraires et acceptaient une poule en guise de paiement ! Le vétérinaire prenait la relève quand le médecin n’était pas disponible ! » Auxilia renchérit, « C’était le bon temps ! »

Cajetan et Auxilia se couchèrent avec la nostalgie de leur temps et au réveil, le lendemain matin, Auxilia commenta tristement, « Je pensais au médecin cette nuit, et je ruminais à la proportion de médecins par rapport à la population ! Je suis convaincue que cette proportion n’a pas changé depuis notre temps ! » Cajetan enchaîna. « Aujourd’hui, certains médecins ont perdu le sens de leur profession, qui devrait inclure l’empathie, la disponibilité, et l’amour de leur travail ! Aujourd’hui, la seule chose qui les préoccupe, ou du moins certains d’entre eux, est de jouer à Clic Clac ! Nous semblons être des plaies d’Égypte pour eux ! » Auxilia acquiesça aux remarques plutôt démoralisantes de Cajetan et ajouta, « Heureusement pour le moment, nous pouvons vivre dans notre maison ! »

Après le repas du midi, Cajetan reprit sa réflexion. « Le gros problème des médecins, c’est qu’ils oublient qu’un jour ils vont prendre notre place, et dépendront de la nouvelle génération, alors ils risquent d’être traités de la même façon qu’ils nous traitent ! Les valeurs doivent changer, et ils doivent comprendre que l’argent n’est pas tout dans la vie, ce n’est certainement pas garant du bonheur ! » Auxilia pouffa d’un rire qui en disait long. « Cajetan ! Les médecins ne savent pas que le vieillissement existe, malgré les études qu’ils suivent à l’université ! Ils connaissent des symptômes et des ordonnances. Leur cerveau aussi fait clic-clac ! » Auxilia enchaîna. « Leur formation ne les prépare qu’à s’occuper des jeunes ! » Cajetan soupira. « Mais je crains que toute cette génération ne sache pas que le vieillissement fasse partie intégrale de la vie ! Ils vivent comme si le temps n’existe pas, et ils subiront une épouvantable chute un jour ! »

Cajetan et Auxilia souffraient peut-être de surdité, partielle, bien sûr, mais leur éducation avait été excellente ! Ils s’intéressaient aux nouvelles et prenaient connaissance chaque matin de l’actualité en lisant leur journal, tout en sirotant leur café. Un thème récurrent les agressait, comme la surdité effective de leur médecin, soit la pleurnicherie sur les coûts engendrés par les vieux. Quand une telle manchette apparaissait, Cajetan ou Auxilia demandait, « Comment peuvent-ils nous juger comme des gens inactifs et qui ne paient pas leurs impôts ? » L’autre riait, et disait, « Imaginons que nous n’avions pas vécu ce que nous avons vécu. Nous avons travaillé toute notre vie à des salaires gelés, car l’état, n’est-ce pas, n’avait pas les moyens de faire mieux, sans reconnaissance, et si les jeunes profitent de l’assurance maladie, c’est grâce à nos efforts qu’ils peuvent être soignés sans recevoir une facture ! Pour nos impôts, le gouvernement ne se gêne pas de nous prendre des acomptes provisoires au cas où l’un de nous meurt au cours de l’année ! C’est un vrai usurier, pourquoi nous faire payer nos impôts à l’avance ? Pourtant, nous avons accepté de nous taxer, pour créer l’assurance maladie, pour créer les écoles publiques, pour les autoroutes aussi ! » « N’oublie pas, » rajouta l’autre, « qu’ils ne nous paient pas d’intérêt pour les trop-perçus ! Au fond, après avoir payé, maintenant nous prêtons de l’argent à l’état, et sans intérêt ! » Les deux riaient, et imaginaient les fonctionnaires en train de visiter chaque membre des jeunes générations pour solliciter leur contribution, et les constructeurs de routes en train d’attendre que lesdits fonctionnaires aient recueilli le montant des frais.

Souvent, Cajetan, découragé de la perception des plus jeunes à leur égard, suggérait à Auxilia de prendre un en-cas et d’aller faire une sieste ! Quand ils se levaient au bout d’une heure, ils allumaient leur téléviseur pour entendre les bêtises humaines ! Cet après-midi-là, ils écoutèrent attentivement le chroniqueur affirmer que le gouvernement distribuait des milliards aux spécialistes, sans oublier les primes pour qu’ils arrivent à l’heure le matin, les primes pour rencontrer chaque personne âgée, sous prétexte du temps qu’ils devaient consacrer à chaque personne et les primes....! Auxilia et Cajetan avaient consacré leur vie à l’enseignement, de même qu’à leurs quatre enfants ! Auxilia zyeuta Cajetan, et soupira, « Mon vieux, nous serions riches aujourd’hui si le gouvernement de notre temps avait fait pleuvoir des primes pour chaque acte que je posais auprès de mes étudiants quand j’enseignais ! J’arrivais à l’heure tous les matins ? Hop, une prime ! Je poursuivais mon enseignement auprès des enfants en difficultés après mes heures de travail ? Hop, une prime ! Je corrigeais une trentaine de devoirs tous les soirs ? Hop, une prime ! Le lendemain je prenais la peine de les rencontrer à partir des travaux qu’ils n’avaient pas réussis pour leur expliquer leurs erreurs et je leur préparais des exercices pour m’assurer qu’ils comprenaient ? Hop, prime, prime, et reprime ! »

Cajetan éclata de rire. « J’arrivais au travail tôt ? Hop, une prime ! Je mettais une cravate tous les matins ? Hop, une prime ! Je nouais ma cravate moi-même ? Encore une prime ! » Mais il s’assombrit en se souvenant. « Nous vivions pour notre travail, et la réussite de nos élèves compensait notre salaire minable. Nous sentions une grande fierté de leurs réussites que toutes les primes du monde ne pouvaient remplacer ! » Cajetan ne croyait plus au progrès. « Le monde change à vue d’œil et la passion qui nous animait n’existe plus dans ce monde ! » Auxilia tira la conclusion. « Nous sommes arrivés à la croisée des chemins, et si nous ne revenons pas aux vraies valeurs, le monde que nous connaissons va disparaître ! » « Je crois bien, » dit pensivement Cajetan, « que notre monde est déjà disparu. Mais, au fond, j’ai surtout de la peine pour ces jeunes, qui seront privés de repères. »

Quand ils franchiront la barrière de non-retour, ils devront rendre des comptes, et ils reviendront dans cet univers comme de simples itinérants, eux qui lèvent le nez sur ce monde ! Auxilia ajouta, « Il n’est nullement question de finir notre vie dans un CHLSD, et d’être à la une pour les mauvais traitements reçus par manque de personnel ! Ils glorifient leurs amis, et attribuent tous nos impôts aux médecins, ensuite, le gouvernement gémit en nous accusant de coûter cher à l’état, et qu’il manque d’argent pour recruter du personnel auprès des patients ! » Cajetan soupira. « Rien de nouveau sous le soleil, on nous disait déjà que l’état n’avait pas moyen de nous augmenter ! Mais en période d’élection, le gouvernement dépense comme un marin en goguette l’argent qu’il nous a siphonné pendant la période d’austérité ! Parlons des CHSLD, qui manquent apparemment de préposés, en partie parce qu’on ne veut pas investir l’argent, et en partie parce que leur profession n’est pas respectée ! » Auxilia compléta. « Ces ministres et ces médecins ne vivent pas avec le vrai monde, et ils en profitent pour s’enrichir au détriment des plus démunis ! » Cajetan se mit à rire. « Les ministres n’occupent leur siège que pour dix ou douze ans, alors pour eux, le vieillissement n’existe pas ! Pas de vieux, pas de passé, donc pas d’avenir ! Je le redis, pauvres jeunes ! »

Bienvenue dans le monde des extra-terrestres !

nathalie besson

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