Voyage astral !
Assise au sous-sol après avoir alimenté mon poêle, je fixais les bûches qui s’enflammaient l’une après l’autre, quand, sans crier gare, mes neurones se mirent en mode onirique ! L’information et les images déferlaient à la vitesse de la lumière, je me sentais hypnotisée, et c’est alors, soudain, que je sortis de mon état léthargique.
Ma première question fût, « Ais-je rêvé ou suis-je dans un monde réel ? » Je me persuadais que je venais de voyager dans le temps, probablement dans le futur ! Je me sentais ébranler par toutes ces visions irréalistes dont j’ignorais l’existence. Je me disais, « Il est impossible, ou au moins très inquiétant, que ce monde existe ! »
Je continuais ma réflexion, je me pinçais pour m’assurer que j’étais bien vivante, et pour constater que je ne fabulais pas, que je me trouvais dans mon sous-sol et que mon poêle réchauffait la pièce à vive allure. Je me rappelais d’avoir survolé l’espace, et tout ce que je voyais, était monochrome, inodore et sans arôme ! J’identifiais maladroitement des gens non genrés par leur façon de marcher et par leur voix sans intonation. Tout semblait noir, tout le monde portait un genre de voile noir et une robe longue noire, hommes, femmes et enfants.
Au passage j’entendais des réflexions « Nous sommes bien, tout le monde est égal ! » Tout le monde est égal ??? Mais oui, tout le monde est égal, plus de genre ! J’extrapolais mon analyse « S’il n’y a plus de genre, il n’y a plus de mouvement Moi aussi ! » Alors, pas non plus d’inspiration, ou d’art ? Que je me ressaisisse, mais comment faire, face au retrait systématique de tout ce qui avait existé ? En me remémorant tout ce que j’avais entendu, je me suis dit, « Comment puis-je faire abstraction de toutes ces carabistouilles de l’existence ? »
Je pensais à tous ces costumes noirs. J’imaginais que cela signifiait qu’il n’y avait plus de population noire, ou blanche, ou musulmane ! Je venais de comprendre que les mots, père, mère, grand-père, grand-mère, fille, et garçon disparaissaient dans l’anonymat ! Mes conjectures allaient plus loin. Si, tout est monochrome, cela implique que l’inceste et la pédophilie ne veulent plus rien dire, et qu’importe ce qui se passe, tout est politiquement correct ? En pensant à ce désastre, je sentais mon corps parcouru par des frissons qui ne s’estompaient pas !
Au cours de mon voyage, je remarquais la disparition des bustes de nos grands bâtisseurs ! Je m’interrogeais, « Est-ce possible que je sois traversée dans un univers parallèle ? » Leur monde semblait commencer dans l’immédiat et aucune histoire n’existait avant eux ! J’entendis deux personnes qui discutaient. « Il faudrait envoyer dans des maisons de retraite toutes les personnes de 50 ans et plus ! » dit l’un. L’autre de demander, « Pourquoi ? » « Ils deviennent vieux, séniles et ils ne connaissent rien ! » Je présume que les habitants de ce monde creux effacèrent tout ce qui ne correspondait pas à leur vision bornée ! Pire, je les vis brouter l’herbe d’un naturel désarmant ! Tous les animaux qui m’étaient familiers, et que je mangeais, avaient disparus dans cet univers !
Mes pensées s’orientèrent vers le réchauffement de la planète. Tout le monde marchait, les chevaux traînaient des convois de provisions qu’ils livraient, mais quand le cheval avait le malheur de s’échapper, le convoi arrêtait et le propriétaire allait ramasser les excréments. Par contre, de façon surprenante, tout le monde possédait son cellulaire, et ils communiquaient le plus souvent entre eux par l’entremise de leur cellulaire !
Je cherchais à comprendre cette évolution possiblement considérée comme révolutionnaire, mais mon cerveau insistait, « Ils sont rétrogrades ! » Je pensais aux pauvres bébés vêtus de noir, où aucun sexe ne dominait ! Je me disais, « Ils passent incognitos sur la terre ! » Je m’inquiétais de leur l’avenir, car je crois fermement que l’éveil de ces petits êtres dépend des couleurs de la nature ! Le firmament, le soleil, la lune, les ifs, les arbustes, les fleurs, les insectes, les oiseaux et les animaux nous en faisaient voir de toutes les couleurs !
En survolant l’univers, j’essayais de voir les champs verts, mais ils m’apparaissaient ocre, sans vie, et les fleurs semblaient avoir perdu leurs couleurs éclatantes ! « Connaissons-nous une période de sécheresse ? » Mais je ne possédais pas la science infuse ! Je sentais que je visitais une planète de zombies, où tout le monde vivait de la même façon ! La tristesse m’envahissait. « Comment avons-nous pu laisser les choses aller ainsi ? » Aucune réponse ne m’interpella !
En parcourant ce monde mortifère, mon cœur s’arrêta presque subitement ! Je venais de comprendre, en revoyant les mots entendus, mais pas entendus, que je possédais une sorte de faculté qui traduisait instantanément leur mini-dialogue à l’intérieur de moi ! J’affrontais bien malgré moi le désastre de cette civilisation qui n’était pas mienne, et je réalisais que ma belle langue maternelle, le français, avait disparu ! Je ne pouvais retenir les larmes qui coulaient sur mes joues, désespérée de découvrir un tel constat ! Je pensais, « Ce n’est pas cela la vie ! La vie se compose de magie, de différence, de couleur, de gaieté, d’amour et de sérénité ! »
Soudainement, un bruit, ou une détonation, que sais-je, me fit atterrir brutalement dans mon corps. J’étais assise dans mon fauteuil au salon, je zyeutais autour de moi pour m’assurer que mon environnement n’avait pas changé ! À ma grande surprise, à l’intérieur de la maison tout était intact, même ma chatte au pied du fauteuil me regardait comme si j’étais une extra-terrestre ! Ma curiosité me dirigea vers la fenêtre, et je constatais qu’il neigeait et que les maisons jaunes, ou couleur brique, gardaient la même apparence qu’avant mon drôle de voyage ! Je fus envahie par un grand soulagement et une grande sérénité en constatant que je revenais chez moi, au Québec, et qu’à la télé tout le monde parlait français. Ouf ! Je n’avais pas perdu mes racines ! En tout cas, pas encore, car ma vision d’horreur n’était pas une prévision de l’avenir.
nathalie besson