Les confinées !
Des bruits inconnus presque inaudibles, ou peut-être des murmures (qu’en savions-nous ?) transperçaient les murs de notre maison ! Intrigués et perplexes, nous examinons notre environnement extérieur en mettant à profit notre ouïe, mais nous affrontons un calme où nous pouvons entendre une mouche volée ! Au moins, nous nous sentons rassurés ! Nous ne souffrons pas de surdité !
Nous nous terrons à l’intérieur de notre maison et nous classons ce cas dans notre mémoire morte. Le lendemain matin, pendant que je sirotais mon café, des bruissements similaires à ceux de la veille montent du sol, et j’interpelle avec autorité ces esprits malins. « Mémoire morte, tais-toi ! Laisse-moi bénéficier de ce moment de félicité ! » Les voix continuent à me harceler.
Je me résous à franchir la porte-fenêtre pour élucider ce tintamarre ! Je suis abasourdie en posant le pied à l’extérieur, les échos fusent de toute part et m’étourdissent ! Je tire une chaise pour m’asseoir et pour m’éviter de basculer. Ma respiration est saccadée, des sueurs froides coulent sur mon visage, mais je dois me ressaisir et être à l’écoute des sons perceptibles qui parcourent mon conduit auditif !
Soudainement, mon cerveau vit une forme d’éveil ! Agenouillée sur le gazon, je m’apprête à nettoyer et à engraisser les plates-bandes, quand j’entends un rechignement venu de nulle part. « Nous sommes assoiffées depuis plusieurs jours, mais tu as priorisé Gémisseuse ! » Instinctivement, je réponds, « Je n’avais pas le choix, elle était envahie par une multitude de Coronavirus ! » D’autres voix se font entendre. « Nous sommes confinés depuis l’automne, nous manquons de soleil et tu nous laisses agonir ! »
Je m’interroge. « Comment puis-je entendre et discuter avec des voix que je ne connais pas ? De quel endroit proviennent ces voix ? » Je demeure perplexe ! « Aurais-je des problèmes de perception ? Mes plantes me réprimandent-elles ? » Toutes ces questions aussi farfelues les unes que les autres m’envahissent ! Pourtant je me considère comme saine d’esprit ! Je réfléchis. « Voilà que je communique avec les plantes ! »
J’entreprends le ménage de ma plate-bande, je sarcle, j’arrache, je nettoie, et une des voix se fait insistante. « Qu’attends-tu pour nous libérer ? » Je suis bien consciente qu’une insatisfaction sourd de quelque part, mais laquelle ? Surtout, qui ose s’adresser à moi de cette façon ? Je me redresse pour examiner les intrus qui sont sûrement infiltrés dans ma plate-bande, mais je ne vois rien de perceptible !
Je continue à exécuter le travail déjà commencé, les insatisfactions gonflent et résonnent, et les sons, qui m’assiègent, deviennent plus vigoureux. Je scrute mon environnement, j’aperçois un petit suisse assis sur la mangeoire qui trie des graines, mais il est visiblement trop occupé pour émettre un quelconque bruit ! D’autres sons parviennent à mon ouïe, mais je les connais, le roucoulement du geai, et les huit-huit et vas-y, vas-y, vas-y, du cardinal. Aucune de ces musiques naturelles ne correspond aux gémissements que j’entends !
J’entreprends de libérer mes rosiers de leur coiffe en styromousse. « Ouf ! Je respire l’air pur ! Le soleil me réchauffe après mon hibernation ! » Je ne peux m’abstenir de demander, « Est-ce donc vous qui ne cessez de pleurnicher ? » « Euh, oui, nous voulions profiter de la chaleur du soleil, mais nous étouffions sous notre coiffe ! Le confinement peut durer un certain moment, mais pas toute la vie ! Nous étions en train de nous éteindre graduellement ! » J’enchaîne, sans trop réfléchir, « La terre gelait encore il y a quelques jours ! » Un vieux rosier perspicace souligne, « Tu imaginais que la terre gelait à cause du bloc de glace de Gémisseuse, mais tu te trompais ! Un bloc de glace ne fond pas rapidement, mais la terre où le soleil plombe devient vite accessible ! »
L’impertinence de ce rosier me gèle le sang, mais que dois-je lui répondre? Je venais de comprendre que c’était eux qui me houspillaient ! Leur réflexion s’avère donc. Comment faire mandat honorable sans avouer mon inculture, moi qui pourtant bêche et bine de mon mieux ? Je préconise la ligne droite et j’évite la fuite par le mensonge ! Je réfléchis à la réaction la plus appropriée tout en me respectant. « Désolée pour cette attente, je m’attardais à sortir du gouffre la Gémisseuse et j’angoissais de ne pas réussir ! » Une forme de plénitude se répand autour de moi, car je viens d’exprimer exactement mon senti, sans leur mentir !
Elles me soulignent que leurs acolytes, qui agrémentent la devanture de la maison, souffrent de claustrophobie comme elles, et depuis aussi longtemps! Je dois agir rapidement, quitte à faire des heures supplémentaires, pour qu’elles puissent survivre à ce désagrément ! J’explique de long en large le processus nécessaire pour leur rendre leur liberté, sachant que si je sautais une étape l’une ou l’autre souffrirait de mon manque d’attention ! À ma grande satisfaction, elles comprennent mon raisonnement, et s’attardent à chanter « L’important, c’est la rose ! » pour réconforter leurs amies encore confinées à l’avant de la maison !
Les rosiers reçurent la missive de leurs sœurs, que le soleil se pointerait à l’horizon et l’espoir naquit, de retrouver leur liberté si précieuse ! Ragaillardies par cet espoir, elles se réjouirent de ne pas avoir été oubliées !
nathalie besson