L’Amour inconditionnel d’Amir Attaran pour les Québécois!
Les récents bons mots publiés par Amir Attaran contre les Québécois me poussent vers une introspection où ressurgissent des événements marquants dans ma vie, événements qui découlent de ma condition de Française d’Amérique, ou, tout simplement, de Québécoise.
Mes parents québécois m’inculquèrent le savoir-vivre et le respect des invités, même ceux de langue étrangère, qui sont des règles de vie fondamentales du peuple québécois. Évidemment, au Québec la langue de Molière, même si elle est souvent maltraitée, demeure celle des descendants des premiers colons, et elle vit toujours malgré les sondages désastreux sur la survie du français. Cette belle langue, je l’ai souvent constaté, n’est pas respectée par les autres habitants du Canada, pas plus maintenant qu’au temps de mon enfance!
Dans mon patelin vivait une infime minorité anglophone, qui habitait dans un ghetto réservé aux patrons qu’ils étaient. Les parents interdisaient à leurs enfants de communiquer avec la race inférieure, soit les Québécois francophones, sous peine de sanction. Pour me rendre à l’école, je passais devant le High School, et les anges de ces parents n’hésitaient pas à nous insulter en anglais et à nous effrayer en courant après nous. Pour pallier cette intimidation, quoique le mot ne fut pas d’usage à cette période, je rallongeais mon trajet pour les éviter. J’ai pu découvrir l’envers de cette médaille en discutant avec une professeure d’anglais, qui avait vécu dans ce ghetto, et qui confirma ma perception de la vision qu’avaient de nous ces Anglais, d’ailleurs souvent de vrais Anglais. Ses parents lui avaient interdit de fréquenter un garçon québécois.
La méfiance face aux personnes qui utilisent la langue de Shakespeare s’installa bien malgré moi et j’appréhendais le mal que les gens pouvaient me faire! Plus tard, j’ai pu découvrir que tous les anglophones n’étaient pas bornés, et que ma condition de Française pouvait plaire. J’ai eu l’occasion d’accompagner mon mari à des colloques aux États-Unis, et de rencontrer des gens cordiaux qui cherchaient à me connaître plutôt qu’à me juger à cause de mon anglais déficient. S’ils connaissaient ne fût-ce qu’un mot de français, ils n’hésitaient pas à l’utiliser et ils m’encourageaient à faire de même en anglais. C’est ainsi que j’ai constaté qu’il existait plus qu’une sorte d’anglophones, que les Américains savaient se montrer avenants et courtois, mais que la majorité des Canadiens anglais nous perçoivent comme de la vermine. Ils sont après tout un peuple conquis, déclara un jour George Drew, alors chef du parti Conservateur.
Malheureusement, ce ne sont pas uniquement les fils de la Grande-Bretagne qui nous méprisent, certains de nos frères rejettent leurs racines et leur langue. Il y a quelques années, nous avons accepté une invitation au centième anniversaire de la tante de mon mari, qui est originaire d’une famille franco-ontarienne (nb, des descendants de Québécois vivant en Ontario). Dès mon arrivée à cette fête spéciale, une cousine de mon mari déploya de grands gestes pour éviter que j’aille à sa rencontre, signifiant qu’elle ne parlait pas français. Pourtant, l’année précédente lors d’une plus petite et plus chaleureuse rencontre familiale, elle avait fait l’effort de me parler en français! J’ai tout de suite compris que j’étais celle qui dérange, l’étrangère non désirée.
Je poursuivis quand même mon intrusion dans cette salle anglophone en allant saluer d’autres membres de la famille, que je connaissais de vue pour les avoir rencontrés lors d’un mariage quelques années plus tôt. Là aussi, je me butais à leur indifférence, indépendamment de leur capacité de discuter en français. Heureusement, deux cousins de mon mari demeuraient à l’écoute! Pendant ce temps, mon mari, obnubilé et inattentif au rejet du français dans la salle, renouait maladroitement avec des cousins et des cousines. Abandonnée par mon mari, je sentais que l’on m’avait jeté dans la fosse aux lions! Je me suis décidée à tenter de communiquer en anglais, mais le peu de mots que je connaissais s’enfouissait profondément à l’intérieur de moi. Mes rencontres chaleureuses avec des amis américains dataient d’au moins trente ans, et toute mon expertise s’était envolée.
Cette mauvaise expérience ne s’arrêta pas là! Une cousine qui voulait prendre une photo de famille avec ses cousins vint me voir en précisant, en français, «Je ne parle pas français!» pour ensuite débiter le fonctionnement de sa caméra dans un bon français. Un cousin assis à la table derrière moi, qui entendit son intervention, s’insurgea. «Mais non! Trouve quelqu’un d’autre, elle est une cousine!» Pendant ce temps, je me disais en moi-même, «Je suis mariée depuis quarante ans avec leur cousin!» Face à ces échecs que je cumulais, je me suis mise à broyer du noir et je me réfugiai dans notre voiture pour essayer de respirer de l’air neutre. Ma réflexion m’amena aussi à une conclusion déstabilisante, mais claire: pour ces personnes, affirmer qu’elles ne parlent pas français ne signifie pas pour eux une incapacité, mais un rejet, et ils me rejettent comme témoin de leur abjuration de leurs racines.
Lors de mon retour dans la salle de réception, le frère de cette cousine qui persistait et signait qu’elle ne parlait pas français me rejoint à ma table pour discuter avec moi en français, un français impeccable. Mon interaction avec la famille de mon mari ne s’arrêta pas là. Quand nous quittâmes la salle, l’épouse du cousin qui soulignait l’anniversaire de sa mère vint à notre rencontre, et me déclara, en anglais, mais de façon à ce que je puisse la comprendre, «Tu pouvais gesticuler pour t’exprimer!» Bien sûr! Je pouvais faire le clown en faisant des culbutes et des galipettes, pourquoi pas en ajoutant des coups de klaxon! Je me retrouvais seule dans un milieu anglophone, la Québécoise unilingue, et je me rappelai la volonté de mes parents de comprendre l’étranger, comme le dit d’ailleurs la Bible! J’analysais la situation après coup. «Pourquoi ne m’a-t-elle pas parlé avant, en me tendant la main, plutôt que de porter un jugement à mon égard au moment de notre départ?»
Mon éducation comme je le mentionnais au début, m’interdisait d’exclure une personne qui ne s’exprimait pas en français et de lui rendre son séjour agréable malgré la barrière de la langue! J’ai eu le plaisir de recevoir des amis de mon mari, qui s’exprimaient dans la langue de Shakespeare et je me prêtais à l’exercice de communiquer avec eux, mais c’était des Américains qui prêtaient l’oreille pour déchiffrer mon langage! Puisque la réciproque ne vaut pas, dorénavant, j’éviterai les souricières!
Les Québécois francophones doivent aussi les éviter, et ne surtout pas s’illusionner! Une vague destructive déferle au Canada anglais pour nous détruire et nous réduire à néant! Je dénoncerai maintenant tout autobus venu du Canada anglais, avec leur drapeau, pour nous raconter le mensonge, «Nous vous aimons!» Puisque nous savons nous méfier de leur hypocrisie, nos ennemis changent de registre pour nous traiter maintenant de racistes. «Le virus dont sont atteints tous les Québécois, le racisme!» Pour nous attaquer, les Canadiens utilisent maintenant les immigrants, ignorants naturellement du mépris dans lequel nous tenaient et nous tiennent ces Canadiens.
Notre point faible est d’ignorer notre propre histoire, et les efforts qui ont été faits pour créer la société dont nous profitons. Je vois mes ancêtres qui s’élèvent en colère au-dessus de leur sépulcre, eux qui défrichèrent leur terre à la sueur de leur front et qui nous permettent de bénéficier de tous les programmes sociaux! La mode est de rejeter systématiquement tout ce qui a existé avant la naissance des jeunes, et donc d’oublier que dans le passé, nous étions les cibles du racisme des Anglais. Je ne comprends pas la facilité avec laquelle les immigrants tombent dans le piège du discours qui nous diminue. Pourquoi choisir de venir vivre au Québec si le pays et son peuple sont si affreux? Peut-être serait-il à propos d’étudier l’histoire du développement du Québec, avant de dénoncer les Québécois! Ainsi, on ne retrouverait pas tant de porte-parole qui confondent l’histoire du Québec avec celle des États-Unis d’Amérique, et qui réagissent à des attitudes qui n’ont jamais existé ici. Les pays dont viennent les immigrants profiteraient plus de leurs connaissances et de leurs efforts pour améliorer la qualité de vie de leurs frères et sœurs. Attaquer des maux imaginaires ne sert ni au progrès du Québec ni au bien-être des pays d’origine.
Comme mes parents, le peuple se veut accueillant au Québec, et est toujours prêt à donner sa chance à l’étranger. Mais voilà que les invités adoptent le mépris envers nous que nos arrière-grands-parents ont reçu des Anglais. Des revendications inappropriées, même ridicules, et cette habitude de nous accuser de racisme dès que nous ne nous conformons pas au modèle Canadien-Anglais vont finir par amener les Québécois à devenir racistes par réaction défensive! Un immigrant au Québec n’est normalement pas ici pour nous reprocher d’exister, mais pour s’adapter à notre culture et notre mode de vie! Pour notre peuple, souffrir le mépris des dominateurs anglais transmuté en un mépris par les nouveaux venus acceptant de jouer les paravents de ces dominateurs est une ultime ironie de l’histoire. J’allais dire une injustice, mais l’histoire ne carbure pas à la justice, mais à la lutte. Nous luttons depuis deux cents ans, et nous ne baisserons pas les bras par crainte d’être accusés de racisme.