Le Loup de Noël
Le Loup de Noël
Tonton tâta la neige de ses mains, puis il regarda Mochée d’un œil sceptique. « Tu veux me faire croire qu’on peut coller la neige pour élaborer des sculptures ? Pourquoi cela me semble-t-il bizarre ? De plus, l’après-midi achève, et je suis en retard pour mon en-cas ! » Mochée sauta plusieurs fois dans la neige, comme s’il visait une proie, puis il montra à Tonton la belle balle qu’il avait fabriquée. « La neige s’agglutine, puis nous pouvons donner la forme que nous voulons à notre paquet de neige. » Tonton soupira, pour demander à Mochée, « Mais où as-tu pris cette idée ? » « Les humains se roulent des figures, quand la neige tombe, je les ai vus ! » Ouf bailla profondément, puis il confirma. « Je fréquentais des fermes, et j’ai vu les enfants assembler des paquets de neige. Une fois, j’en ai observé qui faisaient une vache en neige. » « C’est une vache en vache, qu’il me faudrait, » rétorqua Tonton, « pour lui quémander quelques gorgées de bon lait chaud. » Feuerbach se dressa. « Une poule en poule, pour nous préparer un morceau ! »
Mochée glapit pour reprendre la parole. « Les amis, donnons un effort, c’est la première fois depuis que l’école est terminée que nous avons une belle neige. Ce sera amusant. Nous pourrions faire un renard en neige ! » « Bon, d’accord, » ronchonna finalement Tonton, « mais pourquoi pas un raton laveur en neige ? » « Ou un loup ! » « Si vous fabriquez un orignal, je suis partant, » souffla l’haleine visible de Grande Patte qui avait jeté un coup d’œil à la forêt. Mochée réfléchit, pour proposer, « Allons-y donc pour le raton laveur, nous n’aurons pas besoin de beaucoup de neige, et Tonton ne pensera pas à manger ! » Le silence des autres sembla un accord, alors Mochée distribua les taches. « Grande Patte, aplatis-nous une belle surface de travail. Ouf, tu peux entreprendre de rouler une grosse balle de neige ? Tonton, une plus petite ? » À ce moment, Jacquot se posa sans bruit eu milieu des amis. « J’arrive de la route, deux humains parlent. Je crois qu’ils sont en panne ! »
Feuerbach se tapit au sol. « Tenons-nous loin, les humains font du mal. Tonton, tu es d’accord ? » Tonton se balança d’une patte à l’autre. « Pas tous les humains, pensons à Évelyne, au maître, au vétérinaire. Voyons s’ils ont besoin d’aide. Seulement deux, ils ne peuvent pas être bien dangereux. » « Bon, » dit Mochée, « approchons-nous, mais restons cachés dans le fossé, tant que nous ne saurons pas à qui nous avons affaire. » « Et moi ? » demanda Grande Patte. « Demeure à l’orée de la forêt, pour ne pas attirer l’attention, mais assez près pour venir nous aider. » De buisson en glaçon, Mochée, Tonton, Feuerbach, et Ouf se faufilèrent jusqu’au bord du chemin. Jacquot se percha dans un sapin, hors de vue. Puis, Mochée leva peu à peu la tête. « Alors ? » demanda tout bas Tonton. « Je n’aime pas cela, » intervint Feuerbach, « ne les dérangeons pas. » Mais Mochée leva un peu plus la tête, pour rapporter la situation des humains.
« Jacquot a raison, je vois un véhicule à essence, comme les humains en ont beaucoup. Sa bouche est ouverte, et l’humain mâle est penché dedans. Une humaine est assise dans le véhicule. » « Et alors ? » demanda Ouf. « Je m’approche pour leur parler, » prononça Mochée, et sans attendre de réponse il trottina jusqu’aux pieds de l’humain. Celui-ci ne le remarqua pas, mais l’humaine l’avertit. « Joseph ! Un renard est à tes côtés ! » Mochée se sentit rassuré, car s’il comprenait l’humaine, probablement que celle-ci le comprendrait. L’humain semblait cependant plus craintif, et il agita les bras, et tapa des pieds. Mochée le contourna, et se rendit aux pieds de l’humaine. « Problème ? » formula le renard de son mieux. L’humaine le regarda avec étonnement, puis elle répondit. « Je ne savais pas que je pouvais parler aux renards, mais, oui, problème ! » « Véhicule malade ? » reprit Mochée, et l’humaine expliqua tout naturellement, « Oui, elle s’est arrêtée, et nous ne savons pas quoi faire. J’essaye de téléphoner, mais je ne reçois pas de signal. » Elle exhiba un petit talkie-walkie, semblable à ceux de la Mission, et Mochée sentit sa queue branler de joie. « Aider ! » dit-il, et il se retourna pour appeler les autres. « Les humains ne peuvent pas faire fonctionner leur véhicule, venez ! »
L’humain cessa de regarder dans la bouche du véhicule, puis il regarda Mochée, puis sa compagne. « Tu parles aux renards, Marie, maintenant ? » « À celui-ci, en tout cas, » répondit l’humaine, « je crois avoir lu que les animaux parlaient la veille de Noël. » L’humain haussa les épaules. « Si nous ne nous rendons pas, il n’y en aura pas, de Noël. » Quand l’humain se retourna, il découvrit un raton laveur et un furet qui semblaient discuter avec le renard. « Leur talkie-walkie ne fonctionne pas, » expliquait Mochée, « un de vous a-t-il le sien ? » Tonton passa une main dans sa fourrure, pour admettre, penaud, qu’il n’avait pas pensé en prendre un. Feuerbach n’avait pas encore acquis l’habitude. L’humain entra soudainement dans le véhicule, et ferma la portière. « Un loup ! » grinça-t-il, et l’humaine se pencha pour voir Ouf qui s’était joint à la discussion. « Moi non plus, je suis désolé, » expliquait-il. Mochée se leva pour taper sur la fenêtre. « Pas talkie, » expliqua-t-il, « désolés ! » « Le loup ? » demanda l’humaine. Mochée fit signe à Ouf d’approcher. « Voici Ouf, » dit-il, « humaine avoir nom ? » L’humaine baissa la fenêtre, pendant que son compagnon lui disait, Non, non ! puis elle passa sa main sur la tête d’Ouf. « Je suis Marie, » répondit-elle, et Ouf glapit tout doucement, « Enchanté ! »
« Bon, ils sont gentils, quelle est la suite ? » voulut savoir Tonton, « et je commence à avoir sérieusement faim. De plus le soleil baisse, et jouer dehors ne sera plus très drôle. » Jacquot atterrit avec un léger clac sur le toit du véhicule. « Nous n’avons pas le choix. Il faut les amener à la Mission. » Mochée leva la tête jusqu’à la fenêtre. « Amenez-vous Mission ! » déclara-t-il. L’humaine se tourna vers son compagnon. « Ils nous amènent à une Mission, nous sommes moins perdus que nous le croyions. » L’humain regarda Mochée, puis les autres amis. Feuerbach était perché sur le moteur, comme s’il y comprenait quelque chose. « Est-ce loin ? Tu peux accoucher d’une minute à l’autre, et il fait froid. » Mochée rapporta ce propos aux autres. « Nous faisons comment ? » Tonton s’était rapproché de l’humaine, et son nez bougeait. « Tu as faim ? » demanda l’humaine, et elle ouvrit une sorte de sac, pour en sortir un sandwich au jambon, que Tonton accepta les yeux pleins de reconnaissance. « Il est recommandé de ne pas nourrir les animaux sauvages, » morigéna l’humain. L’humaine éclata de rire. « Trouves-tu vraiment que nous avons affaire à des animaux sauvages ? »
« Vous ne m’avez pas appelé, que se passe-t-il ? » intervint alors la grosse voix de Grande Patte. « Bon, un orignal maintenant, » s’esclaffa l’humain, « pourtant je n’ai rien fumé ! » Jacquot battit des ailes. « La voilà, votre solution ! Grande Patte, tu peux sûrement transporter une humaine, pas très grande, par les sentiers jusqu’à la Mission ? » Mochée expliqua la situation à l’orignal, et Grande Patte se pencha pour regarder l’humaine par la fenêtre. Puis, il hocha la tête. « Bien sûr, si elle peut se tenir. » Mochée tapa sur la portière, et finalement l’humaine comprit qu’elle devait sortir. Grande Patte l’examina, puis il déclara, « Aidez-là à monter sur mon dos, et je crois que cela ira ! » Mochée posa une patte sur la jambe de l’humain. « Orignal porter ! » dit-il, pendant que Grande Patte inclinait ses genoux à terre pour faciliter le travail. Mochée tapa cette fois-ci sur la fenêtre de l’humain, pour lui faire saisir qu’il devait sortir. En effet, il commençait à comprendre, et il contourna le véhicule, un peu nerveux à cause du loup, malgré tout, et il fit la courte échelle à sa femme. Elle monta avec souplesse sur le dos de Grande Patte, qui se leva doucement pour qu’elle puisse bien se placer.
Tout le monde regarda l’humain, et Mochée lui répéta « Mission ! » « Ils nous amènent à une Mission, » expliqua encore l’humaine. « Bon, d’accord, » dit l’humain, « et nos bagages ? » « Pouvez-vous transporter notre sac ? » demanda l’humaine, et Mochée demanda, « Où bagages ? » L’humain prit une clé pour ouvrir le coffre, et Mochée mit la patte sur un grand sac de voyage. « Ouf ? » demanda-t-il, et le loup s’approcha pour sortir le sac d’un seul effort. « Peut-être pourriez-vous l’attacher à mon dos ? » Mochée expliqua à l’humaine, qui expliqua à l’humain, et Mochée lui déclara, « Pas peur ! » L’humain passa les poignées du sac autour des pattes d’Ouf, et le sac se trouva solidement en selle. « Parfait ! » jappa le loup, et il donna un coup de tête à l’humain, pour l’apprivoiser. « En route ! » ordonna Jacquot. L’humain avait encore un souci. « Mais mon auto ? » « Fermer serrures ? » demanda Mochée, mais l’humain s’inquiétait. « Peut-on la laisser seule sur cette route ? » Mochée regarda les autres. « Il a peur à son auto. » Jacquot claqua son bec impatiemment. « De la Mission, vous parlerez au Maître, qui appellera des secours. Je me percherai ici pour surveiller. Dans quelques heures, vous m’enverrez Janot pour me remplacer. » Mochée rassura l’humaine, qui expliqua à son mari. « Parfait, » déclara alors Grande Patte, « en route ! » « Pour ma part, » compléta sérieusement Tonton, « je suis volontaire pour porter le sac de sandwichs ! »
En route vers le camp de fortune devenu une école, un gîte pour les amis et une école vétérinaire, toute la petite famille, guidée et aidée par les amis de la mission de paix, s’émerveillait des beautés du lieu, quoique Joseph demeurait nerveux. Durant le transport, Marie s’agita à quelques reprises sur le dos de Grande-Patte, terrassée par les contractions annonçant la venue de son futur enfant. Feuerbach s’impatientait un peu, mais Mochée lui expliqua la grande responsabilité des mamans, « Y compris la tienne, » compléta le renard solennellement. Grande-Patte était le plus sensible à la situation de la dame, et il essayait de communiquer avec le futur enfant. « Attends, petit lapin, que l’on soit rendu avant de montrer ton petit museau ! » Grande-Patte eut l’impression que le bébé comprit sa supplication, car la mère devint plus calme. Devant l’imposant immeuble de la Mission-école, Mochée, Tonton, Croton et Ouf entamèrent à l’unisson, « Mon beau sapin ». La neige tombait comme des étoiles en caressant chacun d’eux, et les sapins cumulaient comme des bijoux la neige qui venait se jucher sur chacune de leurs branches. Émue, Marie laissa échapper, « Ce paysage pittoresque me rend euphorique ! » Son mari appréciait aussi, mais il s’abstint de remarquer que l’accouchement proche le marquait plus que le paysage.
Tonton, Mochée, et Ouf commençaient à savourer leur rôle de Sauveurs, maintenant que la Mission et les secours étaient atteints, alors en entendant la dame, ils s’exclamèrent, « Quelle belle veille de Noël ! Nous vivons un moment historique, la naissance d’un petit être va égayer notre nouvel environnement ! » Ils remarquèrent de même les lumières de multiples couleurs que Évelyne avait posées pendant leur absence, avec l’aide de Considératon, de Désydraton, de Pinot, de Will, de Esteban, de Marmelade, de Ludovic, de Iris, de Janot, de Crottine, de Miaoumé, de Coccinelle et de Joupasa, pour enjoliver le décor de la nouvelle maison multidisciplinaire. Chacun d’eux participa à la hauteur de leur moyen physique, chaque arbre, chaque sapin, et tout le contour de l’édifice rayonnaient comme des étoiles ! Même Térébante et Térébantine réussirent à transporter des guirlandes sans tout emmêler, tel était l’esprit de Noël ! Les deux humains avaient l’impression d’arriver au paradis terrestre tellement l’ambiance s’annonçait féerique, et le lieu respirait toujours le calme qui avait attiré Miaoumé et les autres lors de la fondation du camp de fortune. Les craintes de Joseph s’apaisaient, et il s’accroupit pour faciliter le contact avec tous les amis de la mission, qui s’approchaient d’eux tour à tour pour les sentir, et pour s’assurer qu’ils étaient de bonnes personnes. Ils faisaient cortège à Grande Patte et sa passagère, car ils s’imprégnaient tous de la venue de l’enfant, et ils se réjouissaient, en se frôlant et se donnant des coups de tête, de pouvoir vivre un moment aussi spécial !
Coccinelle, toujours pragmatique, accourut auprès de Philippe et l’invita à prendre en charge l’humaine en l’informant qu’un petit être allait naître sous peu. Philippe commença par rappeler à Coccinelle qu’il était un vétérinaire, pas un médecin, mais Coccinelle lui administra un coup de patte, et il comprit qu’elle lui disait, La vie est la vie, humain, chat, loup, elle se manifeste ! Philippe n’hésita plus, et il se précipita à l’aide de sa première patiente humaine, pendant que Grande-Patte s’agenouillait lentement, pour ne pas la brusquer. Sans infirmière ni préposé, le vétérinaire se campa solidement pour la transporter dans ses bras jusqu’à l’une des civières installées dans sa salle d’opération. Après avoir mis Marie en sécurité, vérifié son pouls, puis vêtue d’une jaquette d’hôpital, il fit appel au père pour qu’il assiste à l’accouchement de son épouse. Pendant que tout se déroulait en harmonie dans la salle d’accouchement, les amis de la mission de paix se faufilaient dans les corridors, ou essayaient de fureter dans les fenêtres, pour s’assurer du bon aboutissement de l’accouchement. Malheureusement, à un moment, Grande-Patte approcha et poussa tellement fort dans une fenêtre qu’il brisa le mécanisme de fermeture et la fenêtre s’ouvrit tout grand pour laisser pénétrer un vif courant d’air. Tonton et Mochée le morigénèrent de son inattention, et Mochée ajouta, « Maintenant Marie aura froid ! » Au même moment, Philippe fermait les persiennes installées à l’intérieur, et le voyeurisme fut terminé !
La tension se lisait sur tous les visages, ils s’impatientaient de ne pas avoir de nouvelle du vétérinaire, et de leurs yeux, ils culpabilisaient Grande-Patte de son inconscience. Maintenant, ils ne pouvaient que s’entasser dans les corridors pour attendre la bonne nouvelle. Évelyne apparut comme par enchantement, et invita tous les amis à entrer dans leur nouvel habitat, où elle avait installé un buffet, ou plutôt un festin, pour le réveillon. La musique de Noël donnait une ambiance exceptionnelle pour l’occasion, sans oublier les flocons de neige qui venaient flatter les fenêtres ! En passant la porte, ils virent le sapin de Noël décoré de lumières multicolores, de boules, de cannes rouge ou bleu, des bas de Noël où pendouillaient de petites cartes qui s’adressaient à chacun d’eux. L’émerveillement se lisait sur chacun des visages, jamais ils n’avaient vu quelque chose d’aussi beau ! Le maître, caché, en profitait pour photographier la réaction de chacun d’entre eux, et pensa, « Il n’y pas de différence entre l’émerveillement des enfants et des animaux ! » Tonton salivait en regardant le festin dressé sur la table, mais il devait faire preuve de retenue dans les circonstances ! En entrant dans la salle, chacun manifesta sa surprise en apercevant tous les amis humains, le maître et son épouse, Matis, le frère de Évelyne, M.Loupchat, Jérémie et son père, l’électricien et quelques amis humains qui avait participé bénévolement à la construction de leur habitat.
C’était la fête, tous chantaient, dansaient sur des airs de Noël au point qu’ils oubliaient l’enfant à naître. Janot, par souci d’équité, alla chercher Jacquot pour qu’il participe à la fête, confirmé dans son dessein par le maître qui avait tout de suite averti la Sûreté pour qu’ils récupèrent le véhicule des visiteurs. Croton et Crottine n’en croyaient pas leurs yeux et leurs oreilles de cette ambiance qui existait pour Noël ! Ils se regardèrent, et Croton, pourtant si méfiant envers les humains, dit, « Crottine, savais-tu que le ciel existait sur terre ? » « Non ! » « Tonton me l’a quand même dit, que certains humains peuvent se montrer bons et chaleureux ! » Pendant que la grande horloge, imitation de celle de Westminster, sonnait minuit, et qu’Évelyne invitait tout le monde à se souhaiter Joyeux Noël, Philippe le vétérinaire fit son entrée, accompagné de Joseph qui portait sa fille nouveau-née. Les regards admiratifs de tous les membres de la mission se tournèrent vers la petite qui dormait dans les bras de son père, et, spontanément, en ténor, en petits hurlements, et en inélégants couacs, tous, humains et autres, entamèrent en chœur, « Il est né le divin enfant... »