Térébante marmonnait en essayant de ramener vers lui le sac de croquettes. « Attention ! » miaula Térébantine, « ne tire plus, tu risques de déchirer le sac ! » Térébante laissa tomber le sac, puis il s’assit et entreprit de se nettoyer les griffes de la patte gauche. Térébantine, elle, entreprit un examen du sac, surtout de la ficelle tressée qui la retenait fermée. « Ouf » miaula-t-elle, « le sac est intact. »« Nous aurions mieux fait de prendre un plus petit sac, » répondit Térébante, qui s’intéressait à un dessin dans le givre de la fenêtre. « Que vois-tu dans ce dessin ? » demanda-t-il, en touchant le givre délicatement. « Peut-être maman qui nous regarde ? » proposa Térébantine, en penchant la tête. Térébante cligna des yeux, un peu ému. « Cela fait un bout que nous ne l’avons pas vue, elle devrait nous rejoindre à la Mission. J’en parlerai à grand-maman. » Térébantine se retourna d’un coup. « Attention, voilà Balthazar ! Mettons des croquettes dans la gamelle ! »
Pendant que Balthazar saisissait délicatement une croquette avec ses lèvres, Térébantine s’approcha pour lui donner un coup de tête. « Tu viens tous les jours prendre ton repas, tu grandis, mais ta queue ne pousse pas, » miaula-t-elle, « je voudrais bien pouvoir t’aider. » Balthazar avalait des croquettes sans réagir. « Je ne me plains pas, » miaula-t-il de sa grosse voix, « vous me facilitez drôlement la tâche, je ne chasse que de temps en temps, et quand je m’ennuie, je peux jouer avec vous. L’hiver serait plus rude si vous ne trouviez pas le moyen de m’offrir des croquettes. » Térébante se reposait sur des branches de sapin, pour en cas coucher directement sur la neige. « Grand-maman nous encourage à contribuer à la Mission, en aidant ceux qui n’ont pas de maison chaude et protégée. » Térébantine bâilla discrètement. « Mais les humains ne sont peut-être pas au courant que nous dérobons un sac de croquettes, chaque semaine. Que diraient-ils ? » « Mais, en ce temps ce l’année, les humains agissent plus généreusement que pendant les mois chauds, alors ils nous encourageraient, non ? » Balthazar s’assit pour se lécher une de ses immenses pattes. « Vous savez, plusieurs habitants du bois qui ont toujours fréquenté cet endroit, avant que vous y construisiez la Mission, profitent de temps en temps de vos croquettes. »
Comme pour confirmer la déclaration de Balthazar, un carcajou se pointa le nez derrière un bouleau dénudé. Térébante et Térébantine, malgré leur bon cœur, reculèrent instinctivement. « Grand-maman nous avertit de ne pas jouer avec des carcajous, ils sont féroces, ils peuvent attaquer, et ils ont un appétit sans fond ! » miaula nerveusement Térébante. Le carcajou s’approcha, la tête basse, et il s’accroupit devant les chatons. « Je ne vous ferai pas de mal, » barbota-t-il, « je prendrais moi aussi un peu de croquettes. » Les chatons regardèrent Balthazar, qui goûtait ses croquettes sans se soucier du carcajou. « Peut-être devrons-nous appeler de l’aide ! » feula Térébantine. Le carcajou se fit mielleux. « Non, voici, je vous récompenserai. Marchez le long de ce bosquet de cèdres, tournez à droite au peuplier croche, pour suivre le ruisseau jusqu’au sapin inégal. Le ruisseau s’éloigne vers la gauche. Marchez tout droit en comptant jusqu’à cent, puis vous verrez un gros rocher. Derrière le rocher pousse un pin très vert. Ce pin est magique. Si vous réussissez à grimper jusqu’en haut, vous aurez droit à un vœu, et vous pourrez faire allonger la queue de votre ami. Cela vous va ? »
Térébante et Térébantine se regardèrent, dubitatifs. « Un pin magique ? Balthazar, connais-tu un pin magique ? » Le chat sans queue gronda quelque chose, qui ressemblait à, Non, jamais entendu parler. « Pourtant, la Mission existe depuis un bout ! » miaula Térébante. Le carcajou se rapprocha de la gamelle de croquettes. « Il n’est pas magique tout le temps ! » expliqua-t-il, « seulement un peu avant et un peu après Noël ! » Térébantine recula de deux pas, laissant la gamelle libre. « Bon, allez-y, grand-maman serait sans doute d’accord que nous aidions un miséreux. » Le carcajou se jeta sur la gamelle, et la vida en deux ou trois grandes bouchées, puis il battit en retraite sans même dire merci. « Il faut croire que tous les habitants de la forêt ne connaissent pas tous les bonnes manières ! » marmonna Térébante. « Et pour le pin magique ? » s’enquit Térébantine. Térébante sentit monter en lui la curiosité. « Pourquoi pas ? » miaula-t-il. Balthazar arrêta de se nettoyer les oreilles. « Soyez prudent, qui sait ce qui se cache dans la forêt ? » Mais Térébantine commençait aussi à vouloir rejoindre le pin magique. « Au pire, déclara-t-elle, « nous aurons un peu froid. » Balthazar rajouta, « Vous savez, je me suis habitué à ma queue, tout le monde ne peut pas être chic et félin ! » Mais les chatons s’avançaient déjà dans le bois.
Bientôt, les chatons découvrirent que la neige bloquait leur chemin, et que suivre le bosquet de cèdres se révélait une corvée. « Penses-tu que ce peuplier est le peuplier croche ? » « Cet arbre est un tremble, » répliqua Térébante, qui secouait son nez pour en chasser la neige. Maussades, les chatons avancèrent dans la neige pour finalement apercevoir un peuplier dont le tronc penchait drôlement. « Je crois que c’est ici, » déclara Térébante, « maintenant allons suivre le ruisseau. » « Heureusement qu’il n’est pas gelé, » marmonna Térébantine, « car nous ne le verrions pas dans toute cette neige. » Térébantine allait déclarer forfait — « J’ai les griffes gelées » — mais Térébante miaula, « Regarde, ce sapin est beaucoup plus touffu à gauche qu’à droite ! » Térébantine entreprit de se lécher les griffes, pour les réchauffer, et Térébante l’imita, en disant, « Une petite pause n’est pas une mauvaise idée ! » « Maintenant, tout droit ! » miaula Térébante, une fois ces griffes déglacées. » Térébantine pencha la tête. « Sais-tu compter jusqu’à cent, toi ? C’est quoi cent ? Est-ce plus que nos doigts ? » Térébante la rassura. « Mochée sait parler aux humains, et il m’a expliqué comment ils font. Je compterai toutes mes griffes, c’est dix, et quand je finirai, tu compteras un. Quand nous aurons répété dix fois, ce sera cent ! » Térébantine cligna des yeux. « Bizarre ! Mais je veux bien essayer ! »
Heureusement pour les apprentis mathématiciens, les chatons remarquèrent le gros rocher alors qu’ils étaient encore à octante-sept ou nonante-deux. Le rocher était recouvert de neige et de glace, mais ils l’identifièrent tout de suite. « Le carcajou n’a pas menti ! » miaula Térébantine, ragaillardie. Il n’avait pas non plus menti pour le pin, sauf à savoir s’il était magique. « En tout cas, il est costaud ! » miaula Térébante en penchant la tête. En effet, le pin semblait monter sans fin, et même s’il s’avérait ne pas être magique, les chatons s’avouèrent qu’il impressionnait. Ses basses branches affichaient le gabarit de beaucoup d’arbres ordinaires, et il dégageait une odeur qui annonçait un grand âge. Les chatons reconnurent qu’une sieste avant l’escalade serait sage, et ils se blottirent dans des branches pas trop loin du sol, où ils se trouvèrent ma foi assez au chaud. « J’ai un peu faim ! » miaula Térébantine, « nous aurions dû nous apporter des croquettes. » Térébante examina l’arbre. « Je ne vois pas non plus de mulots prêts à se sacrifier pour nous aider, sachant que si j’étais un mulot je ne serais pas pressé à servir de gueuleton à des chatons, aussi gentils soient-ils ! » Mais la fatigue prit le dessus sur la faim, et les chatons s’endormirent.
« Que faites-vous là ? » gronda une voix peu amicale, et les chatons tombèrent presque de leur branche. « Mais, nous vous avons suivi vos instructions ! » miaula Térébante, à immense carcajou qui se dressait juste sous eux. « Comment cela, mes instructions ? » grinça le carcajou, « et vous n’avez pas répondu à ma question, que faites-vous dans mon arbre ? » Térébante et Térébantine commençaient à sentir la peur. « Mais, vous n’êtes pas le carcajou qui est venu nous emprunter des croquettes, et qui nous a expliqué comment retrouver ce pin magique ? » Le carcajou plissa les lèvres pour rire. « Pin magique ? Cela n’existe pas ! Cet arbre abrite les rencontres des carcajous de la région ! Pourquoi un carcajou vous aurait-il envoyé ici ? De toute façon, c’est l’heure de mon repas, et je pourrai déguster du chaton pour la première fois ! » Térébante et Térébantine figèrent de peur, et leurs pattes ne voulaient pas les tirer dans les branches. « De toute façon, je sais grimper ! » gronda le carcajou, et il se hissa pour atteindre les chatons. Leur instinct gonfla leur fourrure, et leurs griffes jaillirent d’elles-mêmes, mais avant que le carcajou les ait rejoints, une boule de fourrure blonde et fauve se jeta sur lui, en feulant et en crachant, et il jugea prudent de détaler, car il avait cru trouvé un repas, au lieu il avait trouvé la foudre.
« Sa question demeure valable, vous savez, » miaula le grand chat sans queue qui avait bousculé le carcajou, « que faites-vous là. » « Balthazar ! » miaulèrent en fa et en sol Térébante et Térébantine. « Vous vous méprenez, » miaula le félin sauveur, « je m’appelle Sémiramis. Qui est ce Balthazar ? » Térébante et Térébantine n’en revenaient pas. « Vous ressemblez comme un frère à notre ami Balthazar ! » « Comme sa sœur, peut-être, » miaula gravement le chat sans queue, « mais j’aimerais bien le rencontrer. Vous m’amenez ? Vous me devez bien cela ! » Térébante et Térébantine balbutièrent le mieux qu’il le pouvait l’histoire du carcajou et du pin magique, ce qui provoqua l’amusement de Sémiramis. « Je savais que les carcajous aimaient se réunir au pied de cet arbre, mais je n’avais jamais entendu dire qu’il était magique. Mais, allons retrouver votre ami. Montrez-moi le chemin, et je vous porterai sur mon dos ! » Les chatons ne se le firent pas dire deux fois, et ils se laissèrent tomber sur le dos de Sémiramis. « Maintenant, » expliqua Térébantine, « il suffit que nous refassions le chemin inverse ! Vous pourrez goûter aux croquettes que nous offrons aux amis. » « Qu’est-ce que c’est, une croquette, » demanda Sémiramis, en entreprenant de suivre la piste inscrite dans la neige par les deux chatons.
« Vous tournerez à droite au peuplier croche, » précisa Térébante. « Mais non, » reprit Térébantine, « puisque Sémiramis doit accomplir le chemin contraire, elle doit tourner à gauche ! » Térébante se retourna du mieux qu’il le pouvait sur le dos de la chatte sans queue, puis il décida d’examiner ses pattes. « Ceci est devant, » ronronna-t-il, « donc cette patte est ma patte droite, alors l’autre est la gauche. Quand nous avons tourné, j’ai mis ma patte gauche dans la neige, alors, oui, Térébantine a raison, nous devons tourner à gauche. » Sémiramis bougea une oreille. « De toute façon, vos pistes brillent presque dans la neige, et je ne fais que les suivre ! » Térébante ne répondit pas, car il s’était endormi. Térébantine ne dormait pas, mais ses yeux à demi fermés observaient avec plaisir le reflet de la lune dans la neige. Elle entendait aussi les voix des petits habitants de la forêt, une maman mulot qui expliquait à son fils qu’à Noël il pourrait parler aux humains de la Mission, et une famille de marmottes qui cherchaient à se réchauffer. Les hiboux ne parlaient pas, mais elle percevait le frôlement de leurs ailes dans la nuit, et elle se prit à revoir Jacquot dans sa tête. « Il m’aurait dit de ne pas avaler n’importe quelle histoire. Mais, je pense que j’ai bien fait de donner des croquettes au carcajou, car pour être charitable on doit aider même ceux qui ne le sont pas. »
Térébantine se réveilla abruptement, car Sémiramis lui parlait. « Nous sommes revenus à votre Mission, je crois, je sens l’odeur de plusieurs humains, qui regorgent de bonne humeur, ainsi que celle d’un renard, d’une moufette, d’un lapin, et, est-ce possible, d’un orignal ? » Térébantine retrouva ses esprits, pour reconnaître la porte ouest de la Mission, la galerie sous laquelle Térébante et elle cachaient le cas de croquettes, et la gamelle. « Oui, oui ! Nous sommes à la maison ! Venez, glissez-vous sous la galerie, et je vous donnerai des croquettes ! » Sémiramis intervint « Je hume quelque chose qui me semble très appétissant ! Est-ce les croquettes ? » Au même moment apparut Jacquot, qui regarda avec insistance Sémiramis. « Qui es-tu ? Que fais-tu à la Mission de paix ? » Sémiramis se présenta, et ajouta « J’ai sauvé d’un grave danger tes amis ! » « Quels amis ? » demanda Jacquot, « voulez-vous dire ces deux écervelés ? » Sémiramis, déconcertée et hésitante, décida qu’elle pourrait expliquer. « Un carcajou se préparait à déguster tes deux amis et je suis intervenue pour les secourir ! » Jacquot s’ébouriffa et pencha la tête. Fidèle à lui-même, il jugea approprié de morigéner les chatons. « Bon ! Térébante et Térébantine, vous n’écoutez personne et vous n’apprenez pas de vos mauvaises aventures ? Mais on ne vous a jamais dit de vous tenir loin des carcajous ? »
Les chatons ne savaient trop quoi répondre, et pour faire diversion, Sémiramis s’exclama, « J’ai l’impression d’arriver au paradis ! Votre maison est tout illuminée et nous entendons des chants de Noël, comme à la chapelle près de ma tanière ! Je ressens un bien-être qui dépasse tout entendement, même je ne me rappelle pas d’avoir vu une maison aussi majestueuse et qui respire autant de quiétude ! » Sémiramis, pleine d’émotion, cessa de parler, et des larmes coulèrent sur ses joues. « Désolée ! » marmonna-t-elle, « je fais un bien sensible prédateur ! » Jacquot, normalement cartésien, ressentait la désolation des chatons, et le mélange d’affliction et de joie de Sémiramis. Il frôla son bec sur les oreilles de Sémiramis, et murmura, « Je sens ta peine profonde, j’aimerais comprendre ton vécu ! » Sémiramis sécha ses larmes, et expliqua. « Je me sens en sécurité dans votre environnement ! Je vis dans les bois et nous devons toujours être aux aguets, soit pour trouver à manger, soit pour éviter un prédateur, en particulier les humains ! » Jacquot embrassa le senti de Sémiramis, qui lui rappelait les mauvaises aventures de son passé, et sa compassion l’amena à dire, « Nous serions heureux que tu participes à notre réveillon ! »
Mochée et Ludovic, qui revenaient d’une promenade, se joignirent au groupe et exprimèrent leur approbation face à Jacquot. « Nous sommes fiers de toi, Jacquot ! C’est la veille de Noël et personne ne devrait être seul ! Nous devrions tous appartenir à une famille et festoyer ! Pourquoi ne pas respecter une trêve en cette journée spéciale, et se rappeler de bons moments vécus entre chacun de nous, plutôt que déblatérer contre nos semblables ! » Sémiramis, émue par l’élocution de Mochée et Ludovic, demanda, « Est-ce une fête d’amour ? » Avant que Mochée ne puisse répondre, la voix de Coccinelle résonna. « Ouf et Éris, vous devez chanter, Ô nuit de paix, puis Tonton, Désydraton et Considératon ajoutent, Sainte nuit. Pinot et Grande Patte enfilent avec, Dans le ciel, l’astre luit ! Cela va, vous recommencez ? » Ouf et Éris n’avaient pas ouvert la bouche qu’Esteban et Estenab réclamaient, « Et nous ? Et nous ? » Coccinelle leva les pattes. « Laissez-les s’accorder, et vous reprendrez le début, une octave plus haute. Vous saisissez ? » « Pourquoi une octave ? » voulut savoir Esteban. « Parce que vous avez des voix aiguës, et c’est ainsi qu’on distingue les voix, par des octaves ! » Joupasa se pencha de la galerie, pour rire. « J’ai jadis connu un oncle Octave, mais il fait trop froid pour que je chante dehors ! »
Térébante poussa Térébantine. « Sortons des croquettes pour Sémiramis, nous lui avons promis. » Ils se glissèrent sous Sémiramis, et lui tirèrent le poil pour attirer son attention. « Suis-nous, » miaula Térébante, et ils se faufilèrent derrière les chanteurs pour retirer le sac de croquettes. Térébante secoua la gamelle, pour que Térébantine puisse y verser des croquettes. « Goûte ! » miaula Térébantine, et Sémiramis passa délicatement son nez sur les croquettes. « Cela sent bon, » miaula-t-elle, « mais j’y trouve un fort goût de salé ! » « Ce mélange est cuisiné spécialement pour nous, les chats, » expliqua Térébante, « justement parce que nous manquons de sel dans notre ordinaire. » Sémiramis se laissa tenter, et elle saisit une croquette, puis deux. « Joupasa, » miaula Coccinelle, « ramène-nous Croton et Crottine, ils n’ont pas peur du froid, eux ! » Esteban et Estenab entonnèrent, Ô nuit de paix, Sainte nuit, puis Coccinelle miaula, « Pas si mal, encore une fois, plus doucement ! » Mochée et Ludovic sautillèrent jusqu’aux mulots, et Mochée leur proposa, « Maintenant, avec nous ! » Leur, Sainte nuit, fit lever la tête à Sémiramis, et Coccinelle approuva. « Maintenant, il faut que vous puissiez chanter juste à chaque fois. Et si nous reprenions tous ensemble ? Un, deux, Ouf et Éris, allez ! » Cette fois, les ratons enchaînèrent parfaitement, et ce fut presque réussi sauf que Grande Patte se retrouva une demi-note derrière Pinot.
« Nous voilà ! » glapit Croton, « nous nous mettons où ? » «Nous voulons participer
aussi!» renchérit Batman, tandis que Robin marchait malencontreusement sur la queue de Will. «Mais faites attention !» grinça Will, «on dirait que le signe de reconnaissance de la Mission serait de me marcher dessus !» Robin baissa la tête, en fausse contrition. «J’ai trouvé tout ce beau monde près du foyer, dans le grand salon, et je les ai invités,» expliqua Croton, «vous pourrez leur trouver une place ?» «Oui, oui » pépia Batman, «voici notre savoir-faire !» Les deux frères s’éclaircirent la gorge, et commencèrent, «Envoie, envoie, la ‘tite jument....» «Euh, non,» miaula doucement Coccinelle, «nous sommes dans le chant de Noël !» «Connaissons-nous des chansons de Noël ?» murmura Robin à son frère. «Je cherche, je cherche,» murmura encore plus bas Batman,« Un éléphant, c’est un chant de Noël ?» Robin soupira. «Je ne pense pas. Batman ?» «Oui, Robin ?» «Batman, j’ai les pattes et le museau gelés, je ne suis pas certain que je suis fait pour chanter dehors dans la neige !» Will se rapprocha de Robin. «Camarade, je crois que ni vous ni moi sommes des créatures d’hiver. Je me sens devenir un bloc de glace !» Robin se tourna vers son frère. «Batman, Will et moi avons envie de fêter Noël à l’intérieur, près du foyer. S’il vous plait, Batman !» Le rat aîné n’aimait pas admettre la défaite, mais ses pattes sans fourrure, si pratique pour éviter les saletés dans les cuisines, le faisait aussi souffrir. Batman se leva pour tirer doucement la patte de Coccinelle. «Madame, heu, la KapellMeister, vu notre incompétence en la matière, Will, Robin, et moi serons plus utile à fêter Noël devant le foyer !» Will ne dit rien, mais il ne pouvait s’empêcher de grelotter. Batman, prit la patte de son frère, qui serra Will contre lui, et il ramena son monde à l’intérieur.
Coccinelle se gratta un peu la tête, et Sémiramis en profita pour demander à Mochée, « Que faites-vous, au juste ? » Mochée leva les yeux pour fixer Sémiramis, puis il raconta l’histoire. « Les humains de la Mission préparent un réveillon, avec du lait de poule chaud, des tourtières, et du foie passé dans la poêle. Nous leur préparons une surprise, en leur chantant Sainte Nuit ! » Croton murmura quelques mots à Crottine, puis il s’adressa à Coccinelle. « Crottine et moi proposons d’intercaler la chanson avec les paroles originales, allemandes. Écoutez ! » « Un, deux, » dit tout bas Croton, puis le furet et la pingouine lancèrent de leurs voix pures, Stille Nacht, heilige Nacht/ Alles schläft, einsam wacht ! (https://www.youtube.com/watch?v=dFI2gYyc9cA&list=FLOTOlKZSoKCbLiWJacd_CYw&index=3&t=0s )
Coccinelle sursauta. « Et comment connaissez-vous cela ? » Croton montra ses dents. « Je ne me nomme pas Feuerbach pour rien, » expliqua-t-il. « Qu’en pensez-vous ? » demanda Coccinelle en regardant chacun. « Pourquoi pas ? » déclarèrent Esteban et Estenab, « cela fera un beau contrepoint ! » « Parlant de contrepoint, » s’exclama Jacquot, « votre chorale manque un peu de voix graves ! » Térébante et Térébantine sursautèrent. « Balthazar ! Il chante d’une belle voix basse, mais où est-il passé ? »
« Nous devons trouver Balthazar ! » miaula très fort Térébantine, « nous avons promis de le présenter à Sémiramis ! » « Comment le trouver ? » demanda Térébante. « Traquons-le, comme à la chasse ! » Les deux chatons sautèrent dans le sentier qui menait au bois, et au ruisseau, et Térébante se mit à l’œuvre pour trouver l’odeur de Balthazar. Au bout d’un moment, il feula tout bas. « Par ici, je lève une piste fraîche, il devait être tout près ! » Térébantine enfila à son tour, derrière un buisson, puis derrière une remise à bois, puis le long de la clôture de la Mission. « Je le sens, je le sens, » miaula Térébante, puis tout à coup Térébantine aperçut les yeux verts de Balthazar caché sous des broussailles. « Mais que fais-tu là ? » miaula Térébante, « tu devrais venir manger des croquettes ! Puis, nous voulons te présenter quelqu’un, une chatte comme toi, presque sans queue ! » Balthazar cligna des yeux, puis il lécha nerveusement une de ses grosses pattes. « Vous, cela va, mais j’ai peur que les autres se moquent de mon absence de queue ! » Térébante et Térébantine léchèrent les oreilles de Balthazar, puis Térébantine le rassura. « La chatte pourrait être confondue avec toi, alors elle ne rira certainement pas de toi. De plus, les amis improvisent une chorale, et ils auraient besoin d’une voix de basse. Essaie, chante, Stille Nacht, heilige Nacht/ Alles schläft, einsam wacht !
Balthazar cligna des yeux et se leva, puis il prit une grande respiration, et il entonna les paroles. La justesse et l’émotion de son interprétation ébranlèrent les chatons, qui se jetèrent sur lui en insistant, « Tu dois venir ! Ta voix est exactement celle qui convient! » Balthazar n’avait jamais fait attention à sa voix, mais en son intérieur il se trouva flatté qu’on lui reconnaisse un don particulier. « Une chorale ? » miaula-t-il, sur un ton de confidence, « pourquoi pas ? » « Oui, » répliqua Térébantine, « en plus tu pourras participer au réveillon des humains, Jacquot invite tout le monde ! » « Jacquot, c’est un humain ? » demanda Balthazar. « Non, il est un harfang des neiges, mais il se prend souvent pour un grand penseur, » expliqua Térébante, mais Térébantine ajouta, « Pourtant, il a bon cœur ! » « Tu pourras chanter avec Croton et Crottine, » suggéra Térébante, « ils intercalent la version originale de la chanson dans la prestation du chœur ! » « Une chorale dans la chorale, » dit pensivement Balthazar, puis il se dressa d’un bond. « Parfait, je suis partant ! » « N’oublie pas Sémiramis ! » conclut Térébantine en sautant pour suivre les longues enjambées de Balthazar.
Marmelade, Pinot et Grande Patte arrivaient à, Les bergers sont instruits/Confiants dans la voix des cieux... » quand Balthazar, Térébante, et Térébantine réapparurent dans la lumière. Le chant cessa abruptement, et tous les regards se tournèrent vers Balthazar. « Je savais que je dérangerais vos amis, » murmura-t-il, la tête basse, à Térébantine. Mais, au lieu de l’hostilité, ce fut Sémiramis qui trotta jusqu’à Balthazar pour lui sentir les oreilles. « Bonsoir, beau gosse ! » feula chaudement Sémiramis, « tu es Balthazar, je le devine ! » Balthazar eut le cœur gros. « Pourquoi se moquer d’un pauvre chat sans queue ? » miaula-t-il. Sémiramis lui donne un coup de tête. « Comment cela, un chat sans queue ? Regarde-moi ! Vois-tu des oreilles décorées d’un plumet noir ? Vois-tu des yeux cernés de fauve ? Vois-tu quatre immenses pattes griffues ? » Balthazar se concentra un moment. « Vous avez bien raison, c’est ce que je vois ! Même que je vois que votre queue est courte ! » « Comme moi, comme toi ! » ronronna Sémiramis, « nous ne sommes pas des chats dans queue, nous sommes des lynx, les rois de la forêt ! » Balthazar s’assit abruptement. « Des lynx ? » Mochée et Ludovic se rapprochèrent, et ils osèrent poser une patte sur Balthazar. « Mais oui, des lynx, nous vous l’aurions dit si nous vous avions vu. Térébante et Térébantine auraient dû le savoir ! »
Les chatons s’assirent à leur tour. « Nous voulions aider les malheureux de la forêt, et Balthazar nous semblait malheureux ! » Sémiramis intervint. « Nous, les lynx, vivons souvent seuls, alors il n’est pas inconcevable que Balthazar n’ait pu voir un congénère. » « Mais, savez-vous, il me vient un souvenir de maman, » miaula de sa grosse voix le nouveau lynx, « mais je voyais mes amis, Térébante et Térébantine, et parfois j’entrevoyais la maîtresse de chorale, et tout ce monde arborait une longue queue. Je me suis dit que j’étais déficitaire ! » « Mais non, » miaula Sémiramis, « au contraire, tu es une pièce de lynx, avec des yeux superbes et des pattes parfaites. » Croton se glissa au-devant du groupe. « Tout cela est splendide, mais pouvez-vous chanter Heilige Nacht ? » Balthazar regarda les chatons. « C’est ce que vous m’avez demandé de chanter ? » « Oui, tout à fait ! » miaulèrent les deux explorateurs. « Bon, » ronronna Balthazar, « essayons ! » Il se plaça entre Croton et Crottine, qui donna le la. « À trois, » dit-elle, puis, en parfaite harmonie, les trois entonnèrent Stille Nacht, heilige Nacht/ Alles schläft, einsam wacht ! « Encore ! » lança Croton, et cette fois Sémiramis ajouta sa voix aux trois autres, dans une pure voix mezzo. Coccinelle se dressa pour applaudir. « Un parfait contraste, s’il vous plaît, joignez-vous à nous. » Jacquot battit des ailes. « C’est bien, mais pour compléter il vous manque un baryton. »
« Excusez-moi, » interrompit une voix, et Térébante et Térébantine sursautèrent. « C’est toi qui nous as raconté le mensonge du pin magique ! » feulèrent-ils en chœur. Le carcajou, car c’était lui, s’assit pour montrer sa bonne volonté. « Je voulais vous assurer de mes intentions pacifiques, » dit-il, « je suis désolé pour la suite ! » « Nous fûmes presque dévorés par un de vos congénères, » gronda Térébante, « sans Sémiramis, nous serions à cette heure un repas ! » Térébantine pencha la tête. « Mais, il est vrai que sans cela, nous n’aurions pas fait la connaissance de Sémiramis, et Balthazar n’aurait pas su qu’il était un lynx ! » « La magie prend d’étranges détours, » proclama une voix, et Miaoumé apparut sur la galerie. Le carcajou leva la patte pour parler. « Qui plus est, je vous ai entendu réclamer un baryton. Je me nomme Cajetan, et écoutez ! » Cajetan se dressa sur ses pattes arrière, et il entonna sans fausses notes, Ô nuit de paix, Sainte nuit. Tous les membres de la chorale se regardèrent, étonnés, et Coccinelle essuya une larme. « Parfait ! Nous formerons une chorale parfaite ! » « Mais, » déclara Miaoumé, « faites vite, car Évelyne m’envoie vous avertir que le réveillon commence dans une heure ! » Coccinelle rassembla ses chanteurs. « Les basses et les barytons, à ma gauche, les autres, selon les rôles que je vous ai attribués ! » Pendant que chacun se plaçait, Ludovic et Mochée pas trop près de Cajetan, tout de même, Esteban et Estenab se faufilèrent comme une ombre sur le dos de Cajetan. « Comme cela, » suggéra Esteban, « nous ne nous inquiéterons pas des intentions de monsieur le carcajou ! » Miaoumé se sentit envahie par une grande douceur. « Voilà que nous fêtons aussi le Noël parfait ! Balthazar a retrouvé sa vraie identité, Sémiramis et Cajetan ont trouvé une vraie famille, et nous tous nous avons trouvé la vraie nature de Noël ! » « Reprenons du début ! » miaula Coccinelle, en levant ses pattes pour diriger.
nathalie besson (avec un clin d’oeil à l’auteur de l’illustration, pierre corbeil !)