La vieillesse se prépare à nous envahir insidieusement !
Nous arrivons tous à un moment de notre vie où des périodes plus ou moins intéressantes nous frappent de plein fouet ! Devenons-nous nous apitoyer sur le moment présent, ou devons-nous foncer tête baissée en faisant abstraction des ces irritants ?
Nous étions jeunes et invincibles, prêts à affronter les montagnes et à défoncer les murs pour atteindre nos objectifs. Rien ne nous préparait à faire face au premier âge, au deuxième âge, au troisième âge et même au quatrième âge ! J’avoue que souvent je ne sais plus de laquelle je fais partie ! Au cours de notre parcours, des personnes que nous aimions partirent sans préavis, mais leur destinée s’arrêtait à un moment précis. Je cherche parfois la date de péremption, malheureusement, ni moi ni les miens ne portons aucune date inscrite. Je travaille à comprendre la situation tout en me consolant, « Au moins, nous ne sommes pas des produits de consommation ! » Cette seule pensée m’encourage à poursuivre ma route, malgré certains désagréments avec lesquels la vie s’acharne à me rappeler que, j’ai beau rêvé, l’invincibilité n’existe plus, ou pas.
Je constate que selon les statistiques de longévité pour les femmes, il me resterait entre dix ans et quinze ans pour réaliser tous les projets qui envahissent mon cerveau ! Mon cerveau affronte la houle comme un petit bateau, pour se rappeler les réalisations antérieures, mais aie-je été à la hauteur ? Des doutes s’installent, mais je me console en me disant, « Au moins j’ai fait ce que je croyais qu’il était le mieux à accomplir ! » Nous excellons toujours dans ce que l’on connaît, mais difficile de se distinguer dans ce que l’on ignore !
Les embûches m’attaquèrent à mon insu ces dernières semaines, m’avertissant que la vieillesse essayait de m’attaquer, malgré mon obstination à la repousser. Tout débuta par l’ajustement de ma vue. Mes nouveaux verres n’étaient jamais au diapason, je devais lever la monture du côté gauche pour réussir à lire, mais ce mouvement ne durait que quelques minutes et je baissais le côté droit pour réajuster mon foyer décroissant, et rien n’y faisait. Après trois examens avec l’optométriste et deux rencontres avec l’opticienne, cette dernière constatait que le foyer décroissant était trop bas, c’est ce qui justifiait que je devais me lancer la tête vers l’arrière pour réussir à voir ce que j’écrivais ou ce que je lisais ! J’oubliais, l’optométriste avait mal évalué mon œil droit pour remédier à mon problème de presbytie !
C’est traumatisant, je ne sais plus si je fais partie du groupe du premier âge, ou du deuxième âge, ou du troisième, ou même du quatrième âge !
Maintenant, un amalgame décide de déserter ma molaire droite, en haut ! Je sens le manque dans ma dent, je me précipite au téléphone pour prendre un rendez-vous avec mon dentiste, mais à la fin de l’appel, la secrétaire m’informe, « Votre dentiste sera absent demain, mais vous rencontrerez sa remplaçante ! » Je me dis, « Je n’ai pas le choix, c’est très désagréable cette sensation de néant ! » J’acquiesce à sa suggestion, et comme prévu je me présente le lendemain matin à la clinique. Au bout de quelques minutes, son assistante vient me chercher et m’invite à prendre place sur la chaise. Elle m’installe la bavette, et me demande d’ouvrir la bouche et repart porter un compte rendu à la dentiste. Elle revient en me disant, « Nous allons devoir vous passer une radiographie ! » Lorsque la dentiste prend connaissance de la radiographie, elle me déclare brutalement, « Madame, nous devons vous enlever votre dent ! » Je la regarde, perplexe, et elle commence ses explications de l’état de ma dent, j’ai l’impression de me retrouver avec « Pet et Répète ». Elle me regarde et je comprends qu’elle pense que je suis aveugle et que je ne vois pas la radiographie. Je rumine et je me parle, « Bon ! Me voilà aveugle ! » Elle ose même à demander, « Avez-vous vos lunettes ? » Mon cerveau exécute quelques tours sur lui-même et je me risque à répondre, « Non, j’ai installé deux cannes blanches de chaque côté de ma voiture ! »
C’est traumatisant, je ne sais plus si je fais partie du groupe du premier âge, ou du deuxième âge, ou du troisième âge, ou même du quatrième âge !
Ma réponse ne semble pas la satisfaire, et je la devine penser, « Mais elle est sénile ! » Elle s’approche de moi en insistant, « Vous devez vous résoudre à enlever votre dent ! » Elle hausse la voix comme si je souffrais de surdité, et je lui fais remarquer que je l’avais entendue. Pour se justifier, elle ajoute, « Je pensais que vous ne m’aviez pas entendue, car mon assistante échappe toujours des choses par terre ! » Sa réponse est accompagnée d’un ricanement presque diabolique ! D’ailleurs, je sentais leur complicité pour me ridiculiser ! Bon, maintenant je souffre de surdité ! Pendant ses explications, elle me fait comprendre que son temps est chronométré, son insistance harcelante m’amène bien malgré moi à accepter qu’elle ampute ma dent. Elle me fait part des complications possibles d’arrivées, et son assistante me remet les instructions à suivre par la suite. Je prends connaissance des dites instructions, et ma voix intérieure me crie, « Sauve-toi pendant qu’il en est encore temps ! » Je me lève de ma chaise en informant l’assistante, « Il n’est pas question que vous m’enleviez ma dent ! » Je me rends au bureau de la secrétaire et je paie les frais encourus pour cette visite. Je pense, « Il ne manque plus que cela à m’édenter, pour que je me sente vraiment vieille ! »
C’est traumatisant, je ne sais plus si je fais partie du groupe du premier âge, ou du deuxième âge, ou du troisième âge, ou même du quatrième âge !
Je me dirige à ma voiture, je déverrouille la porte, je m’assois et je démarre le moteur ! Mon cerveau trace une rétrospective de ma visite à la clinique, et je comprends que je viens d’être victime d’un mal qui affecte la génération des millénaux, un mal incurable et sournois, soit « l’âgisme »! Je me sens impuissante face à ce phénomène, mais je dois me ressaisir pour affronter ce foutu mal de société pour ne pas sombrer dans un énième âge. Je médite sur tous mes travers, je suis aveugle, je souffre de surdité, je suis sénile et, pourquoi pas, édentée ! Que puis-je apporter à la civilisation dans cet état de perte d’autonomie ?
C’est traumatisant, je ne sais plus si je fais partie du groupe du premier âge, ou du deuxième âge, ou du troisième âge, ou même du quatrième âge !
Mardi, je me sentais ragaillardie après avoir réglé mon problème de lentilles et l’obturation de ma molaire, je commençais à voir la lumière au bout du tunnel ! Énergique, je décide de cuisiner un gâteau en préparant un coulis au sucre à la crème pour l’accompagner. Je fouettais mon coulis, quand soudain, sans avertissement, mes deux mains et mes doigts me contrariaient en tremblant aussi à la vitesse de la lumière, au point que je ne percevais plus mon fouet. En plus, impossible pour moi de toucher au fouet : mes mains pendouillaient comme de vieilles guenilles, je n’avais aucune emprise. Je savais que mon cerveau me bloquait, c’est lui qui contrôlait mes gestes, je vivais une drôle d’impression ! Impuissante face à ce phénomène que je ne connaissais pas, je quittais la cuisine pour aller m’asseoir dans mon fauteuil au salon. Heureusement que mes membres inférieurs fonctionnaient ! Assise, je tente de prendre mon verre d’eau, mais je réussis à le verser sur la table par manque de contrôle de mes mains !
C’est traumatisant, je ne sais plus si je fais partie du groupe du premier âge, ou du deuxième âge, ou du troisième âge, ou même du quatrième âge !
Heureusement, ce malaise ne dura pas des heures, probablement pas plus d’une minute qui me parut beaucoup plus longue ! Je réfléchissais et j’analysais cette expérience, assise dans mon fauteuil au son de la musique de Noël, « Est-ce un avertissement ? Mais lequel ? » Une chose me frappe, la vie et la santé ne tiennent que par un fil ! J’entrepris une recherche Google pour essayer de cerner les symptômes, mais aucune des analyses ne correspondit à mon vécu ! J’avoue que cet événement m’a fait comprendre que le vieillissement apporte son lot de désagréments, et mes pensées se dirigent vers toutes les personnes qui, du jour au lendemain, doivent faire le deuil de leurs capacités physiques et intellectuelles ! Souvent ils vivent le deuil de leur propre enfant, et de leur famille ! Mais ce n’est pas suffisant, la vie les oblige à faire le deuil de leur maison, de leurs animaux de compagnie, de leurs petites habitudes, et de se réfugier dans un CHLSD sans visite, abandonnés par leurs enfants en attendant que la grande faucheuse passe !
Je me console en me rappelant que toutes ces étapes du déclin sont en fait la manifestation de la seule justice qui existe dans la vie, c’est-à-dire que tous, pauvre ou riche, jeune ou vieux, honnête ou méchant, oui, tout le monde marche dans la même direction sur le même chemin, vers l’inexorable dernier chapitre. Chaque humain est un livre qui porte en lui sa dernière page, avec le mot Fin ! Chaque vie est une œuvre d’art, même si une est une tragédie et une autre une comédie. Cheminer vers sa dernière page, est-ce cela que l’on appelle « Vieillir en beauté ? »
C’est traumatisant, je ne sais pas si je fais partie du groupe du premier âge, ou du deuxième âge, ou du troisième âge, ou même du quatrième âge !
nathalie besson