Éveil

Bonne et heureuse année 2021!

Quand le dernier coup de minuit retentit annonçant le début de l’année2021, Emilia entama la chanson de Jacques Michel, «C’est le début d’un temps nouveau!» Andouille resta complètement stupéfait de l’allégresse de son épouse.

— Pourquoi chantes-tu cette chanson? Je ne vois pas grand nouveau, pour commencer!

Emilia se tut abruptement, fronça les sourcils, et répliqua :

— Mais, plus de confinement! À partir de maintenant, nous pouvons retrouver nos activités brutalement étranglées par cette pandémie!

Andouille ne concevait pas du tout le début de l’année2021 du même œil que son épouse. Il se donna une pause de réflexion avant de s’exprimer.

— Je dirais que ce confinement nous a permis de nous redécouvrir, notre nature innée, et nous a permis de prendre le temps de vivre entre quatre yeux, ou entre huit si nous comptons nos fils!

Emilia ne comprenait plus son mari, lui qui goûtait les sorties au cinéma, les soirées au restaurant, les heures dans un siège à Place des Arts, surtout pour écouter un opéra qui l’emportait dans ses rêves! Pendant ce temps, Eddy, leur cadet qui partageait la chambre avec son aîné, s’éveilla brutalement en entendant chanter sa mère. Anxieux, il réveilla son frère et lui demanda.

— Que se passe-t-il?

— Je ne sais pas, je dormais!

Nathan se trouvait bien, endormi, mais il essaya de saisir pourquoi Eddy le tirait de son délicieux sommeil. Eddy ne réussit qu’à dire,

— Maman chantait fort!

— C’est anodin! Maman fredonne souvent des chansons!

Nathan se sentit l’obligation d’apaiser son frère, alors il proposa doucement :

— Nous allons entrouvrir la porte silencieusement et écouter!

Eddy prêta l’oreille avec concentration, et il souligna les paroles de leur mère.

— Tu as entendu maman, elle se réjouit de pouvoir sortir, ce qui signifie qu’elle nous laisserait sous la surveillance d’une gardienne, comme avant les masques! Papa, par contre, semble moins enthousiaste!

Nathan ferma les yeux, et imagina sa mère toute pimpante devant une scène de concert. Il rappela à Eddy cette image.

— Quand maman sortait, soit avec papa ou des amies, elle vibrait de bonheur! Maintenant, elle traîne dans la maison, en pyjama, les yeux cernés!

Eddy n’achetait pas l’interprétation de son frère.

— Avant la pandémie, Maman me donnait l’impression de fuir sa vie avec toutes ces sorties! On aurait dit qu’elle n’aimait pas sa propre compagnie, et peut-être pas la nôtre.

Eddy sentit le danger du chemin qu’il empruntait, mais il s’encouragea à persister.

— D’après l’opinion que papa a émise, je soupçonne qu’il se faisait un devoir de la suivre! Maintenant qu’ils goûtent une vie plus sobre, et plus équilibrée, il profite du moment pour faire réfléchir maman! Papa prône la sagesse, il veut sûrement continuer leurs activités, mais, à un rythme moins effréné, pour se montrer plus présent avec nous!

Nathan s’insurgea devant cette alternative.

— Maman est jeune encore, elle cherche à vivre sa vie. À 15 ans, je pourrais être ta gardienne, oups, ton gardien, euh, ta Caïne, je ne sais plus comment m’exprimer! Pense à tout ce qui devient possible quand les parents sortent! Nous jouons avec nos jeux vidéo, nous écoutons de bons films, probablement proscrits par papa, et nous pouvons nous coucher plus tard! De plus, ils n’empiètent pas sur notre cheminement!

Pendant ce temps, Emilia et Andouille se chamaillaient sur l’après-pandémie. Les sourcils fronçaient, le ton montait, les interruptions se succédaient, et l’écart s’accentuait dangereusement. Andouille se tut soudainement, et, pensif, se dirigea vers la cuisine pour se préparer un réconfortant café. «Tu en veux un?» lança-t-il, comme signe d’apaisement, puis, au fond du couloir, il aperçut la porte de la chambre de ses enfants, entre-ouverte. Il n’en fit pas de cas, mais, en revenant vers la salle de séjour avec ses deux cafés, il proposa à son épouse d’impliquer leurs enfants dans la discussion. Cette idée ne lui plut pas.

— Il n’est pas question que les enfants décident pour nous!

Andouille ferma un moment les yeux, puis il expliqua sa stratégie.

— Déjà, ils écoutent nos envolées et nos arguments, si nous ne voulons pas que ces désaccords alimentent leur anxiété, ils doivent pouvoir s’exprimer sur nos décisions futures, et les comprendre!

Emilia se préparait à répliquer, mais elle tendit plutôt la main pour prendre son café. Siroter le café mit la discussion abruptement en pause. D’un commun accord, vers le fond de la tasse, ils choisirent sans analyse de profiter d’une bonne nuit de sommeil avant de revenir sur le sujet.

Le lendemain matin, toute la petite famille, endimanchée, se réunit autour de la table pour déguster le délicieux déjeuner qu’apprêta Emilia pour souligner le début de l’année 2021. Pendant que chacun se servait des œufs brouillés, du saumon, ou des crêpes, Emilia, les yeux clairs et enjoués, suggéra de lever leur verre de jus d’orange à la Liberté, retrouvée comme par magie. Andouille et Eddy s’abstinrent de porter un toast, alors que Nathan et Emilia, debout côte à côte, se réjouissaient de cette délivrance. Quand la volubilité d’Emilia s’estompa, elle remarqua que son mari et son plus jeune fils ne vivaient pas la même frénésie qu’elle partageait avec son aîné. Elle se rappela la discussion de la veille avec son mari, et se dit, «Je ne peux pas fuir les points de vue différents des miens, surtout ceux des miens que j’aime!» Elle regarda tour à tour son mari et son benjamin, et demanda tranquillement.

— Pourquoi ne fêtez-vous pas la nouvelle année avec Nathan et moi?

Eddy apprenait la vie depuis dix ans, et il s’aventura à répondre.

— J’ai malencontreusement entendu la conversation entre toi et papa. Quand tu as entamé la chanson, «C’est le début d’un temps nouveau», j’ai sursauté dans mon lit! Intrigué, je me suis rapproché de la porte pour vous écouter. Tu veux recommencer toutes tes activités, en nous laissant seuls avec une gardienne?

Emilia n’en croyait pas ses oreilles d’entendre son plus jeune s’exprimer d’une façon si explicitement réprobatrice sur ses intentions de retrouver sa liberté! Elle lui demanda avec précaution,

— Mais alors, que me reproches-tu?

Eddy savait parfaitement comment la pandémie avait enrichi sa famille.

— L’avenir me terrorise! Depuis que nous luttons ensemble contre cette maladie, nous vivons une vie de famille que je ne connaissais pas, et qui m’apporte bonheur et sécurité! Nous goûtons à l’harmonie, ne voyez-vous pas que nous en tirons des bénéfices?

Emilia l’écoutait attentivement, et, surprise, elle le questionna.

— De quels bénéfices parles-tu?

— J’ai l’impression de découvrir de vrais parents, fiers de s’occuper de nous. Vous vous impliquez dans nos jeux. Avant, la fatigue vous accablait et, pour vous détendre, vous alliez célébrer, sans nous, la plupart du temps. Quand vous ne sortiez pas, vous pitonniez sur vos tablettes ou vous consultiez vos revues comme pour prétendre que nous n’existions pas!

Nathan écoutait, mais ne partageait pas la vision de son cadet.

— Eddy, réfléchis! Avant, maman souriait et débordait d’énergie. En revenant du travail, elle prenait une douche pour se détendre, et enfilait ses plus beaux vêtements pour une soirée, ou elle se prélassait à la maison en mou. Maintenant, elle rôde dans la maison comme une âme en peine! Oui, elle s’occupe beaucoup de nous, mais avons-nous besoin de tant d’attention?

Andouille comparait les perceptions divergentes que ses enfants révélaient de leur mère, et il comprit que leurs regards différaient, sans doute parce que leurs âges et leurs tempéraments ne se ressemblaient pas.

— Nathan, tu vois ta mère malheureuse qui erre en mou toute la journée! Tu ne remarques pas qu’elle s’habille lorsqu’elle s’assoit à son bureau pour le télétravail? Ce qui a changé, c’est que nous demeurons à la maison toute la journée! Moi aussi, je me réjouis de pouvoir partager nos repas, de discuter et de rire, sans oublier que si un problème survient, nous sommes à l’écoute!

Voilà donc que Nathan rêvait de liberté, comme sa mère! Andouille pensa, mais ne dit pas, «Mon fils est devenu un ado! Il sent la maison petite quand nous y vivons tous!» Emilia ne s’attendait pas au portrait que Nathan venait de faire d’elle, et elle ressentit le besoin de remettre les pendules à l’heure!

— Nathan, je ne souffre pas à la maison, et j’apprends à mieux vous connaître, comme le souligne ton frère! Cependant, je ne peux pas jouer à l’autruche, nos sorties me manquent!

Andouille enchaîna avec des conseils de prudence.

— Je ne crois pas que la pandémie soit terminée! Possiblement nous subirons les conséquences jusqu’en 2022! Ne nous emballons pas trop vite sinon nous vivrons de grandes déceptions! Affrontons la réalité et essayons d’agrémenter nos vies en trouvant d’autres activités qui nous satisferont! Ne nous voilons pas les yeux et ne retombons pas dans nos vieilles habitudes comme si rien ne s’était passé! Nous devons en tirer des leçons et peut-être réorienter nos priorités.

Les fils comprirent que leur père s’adressait à leur mère! Mais Andouille n’avait pas fini.

— Demandons-nous si notre bonheur dépend de notre vie sociale? Avons-nous tellement besoin de sortir plusieurs soirs par semaine ou de communiquer avec nos amis quand nous restons ici? Eddy a plutôt raison de souligner que notre vie familiale possède tout le nécessaire pour éclairer notre vie.

Emilia hésita avant de répondre, mais elle comprenait que les réflexions de son mari la visaient.

— Je réfléchis depuis le début de cette pandémie, et nos sorties me manquent! Pourquoi devrions-nous tout abandonner? Notre vie m’emballait!

Andouille rassura sa femme, et répéta, à quelques mots près, l’analyse qu’Eddy avait transmise à son frère pendant la nuit!

Emilia n’achetait pas les paroles de sagesse de son époux et continuait à rêver aux sorties. Nathan fit remarquer à sa mère,

— Tu veux reprendre tes sorties, mais pourquoi papa trouve des prétextes pour ne pas combler nos désirs?

— Quand nous travaillons, nous recevons une rémunération qui nous permet de gâter notre famille! La pandémie pénalise ton père qui retire trois fois moins en salaire qu’avant que le Sylphe perturbe notre vie! Actuellement, nous devons faire attention à nos dépenses.

Andouille intervint.

— Nathan, je sais qu’il est difficile de suivre la pensée des adultes! Tu budgètes chaque semaine les sous que tu gagnes pour nous aider dans certaines corvées dans la maison. T’arrive-t-il d’attendre pour t’offrir un objet que tu désires?

Nathan zyeuta son père avec des points d’interrogation,

— Non! Le problème que j’affronte, c’est le prix qui augmente!

Andouille savait que son fils ne lui disait pas tout à fait la vérité, mais il s’abstint de commenter.

Eddy analysait les points de vue de chaque membre de sa famille et exposa sa vision.

— J’entends les prises de position que vous émettez, mais je ne les cautionne pas toutes! Je ne juge pas vos opinions! Cette pandémie nous affecte dans tout ce qui nous touche! Papa mentionnait qu’il fallait en tirer des leçons et je cautionne son avis. Des petits groupes sectaires se forment et revendiquent au nom des droits des minorités sans tenir compte de la majorité. Si cette majorité ose s’exprimer, elle se fait traiter de racistes! Ces revendicateurs créent la zizanie dans la société! En plus, tout le monde travaille pour s’acheter souvent des futilités qu’ils délaisseront après leur acquisition! Quand j’observe les humains, j’ai l’impression qu’ils font fausse route!

Eddy s’accorda une pause avant de poursuivre son analyse. Il remarqua les yeux estomaqués de ses parents et de son frère,

— Je pense que l’amour entre les humains prime le matériel, et que toute revendication devrait respecter les uns et les autres! Voilà la raison de cette pandémie! Apprenons à vivre ensemble et à nous respecter et oublions un peu les objets!

Andouille intervint pour clarifier la philosophie d’Eddy,

— Tu sembles dire que la pandémie est générée par nos comportements non appropriés! Précise ton argument!

— Nous oublions l’essentiel de notre existence! Nous sommes enfermés dans une société égocentrique où chacun essaie de tirer la couverture vers son confort sans se préoccuper des autres. Le je me moi domine sans scrupule! Les parents courent au travail, déposent leurs enfants à la garderie en passant et, le soir venu, ils expriment leur intolérance! Tous ces mouvements s’effectuent dans le but de récolter plus d’argent! Nous consultent-ils, nous les enfants?

Emilia observa la physionomie de son fils pendant qu’il narrait sa désapprobation, puis elle fit remarquer à Eddy que sa vie commençait avant sa naissance et que son parcours académique l’avait amenée à occuper des fonctions qu’elle chérissait! Eddy n’en resta pas là et il confronta sa mère!

— Évidemment je ne pouvais pas me manifester avant ma naissance et intervenir dans tes choix!

Une pointe d’ironie émergeait des yeux Eddy! Les revendications de son fils éveillèrent en elle des souvenirs de son passé qu’elle avait oublié et elle raconta son vécu.

— Dans le quartier de ma jeunesse, une seule maman écoulait son temps à la maison! Quand nous perdions notre clef pour entrer dans la maison, la maman de mon amie nous recevait, nous donnait une collation et nous jouions avec cette amie jusqu’au retour de nos parents! À cette période, j’enviais mon amie de pouvoir toujours compter sur sa mère, mes parents travaillaient tous les deux à l’extérieur! Je me rappelle de m’être confié à cette maman en revenant de l’école!

Un long silence s’en suivit. Elle réfléchissait à ce passé, et elle poursuivit.

— J’approuve ton raisonnement! Mon amie semblait heureuse dans cet environnement, sauf qu’elle aurait aimé que sa mère travaille à l’extérieur comme les autres mamans! Peut-être pourrions-nous couper nos journées pour partager des moments?

Nathan ne percevait pas la présence de ses parents comme un plus, et s’écria,

— Pourquoi devrions-nous changer toute notre vie après la pandémie? J’aimais bien la façon dont on vivait avant! Maman, tu te prépares à remettre en question tes sorties pour plaire à Eddy? Quand tu atteindras ta vieillesse, et te retrouveras incapable de marcher, penses-tu qu’Eddy va prendre la peine de t’amener au restaurant, ou au théâtre ou toute autre activité qui te faisait vibrer? N’abandonne pas ce qui te plaît pour nous!

Il arbora une splendide moue pour indiquer qu’il n’achetait pas les prétentions de son frère! Il raconta sérieusement à sa mère ses inquiétudes pour l’avenir.

— J’ai 15 ans et bientôt je vais entreprendre mes études collégiales et après, je poursuivrai à l’université! En plus, si tu travailles moins, tu vas être moins rémunéré et tu ne pourras pas m’aider à payer mes études!

Un silence presque morbide envahit la salle à manger! Nathan approfondit sa pensée.

— Je prévoyais qu’à 16 ans, je passerais mon permis de conduire… et que vous m’achèteriez une auto pour me rendre au CÉGEP!

La dernière phrase qu’il prononça ne semblait pas faire partie des projets de ses parents. Andouille scruta le regard de son épouse, et comprit que l’un des fantasmes de son fils n’était pas fixé dans le béton! Andouille se rebiffa devant les requêtes de Nathan et s’exprima.

— Nous n’avons jamais discuté de l’achat d’une voiture! Ton permis de conduire dépend de ta réussite scolaire! Pour l’auto, je te conseille de trouver un emploi d’été, et d’accumuler ainsi tes sous pour combler ton désir.

Nathan, déçu, jeta un regard furieux à son père et se précipita s’enfermer dans sa chambre pour ne plus entendre ces aberrations. Emilia prit sur elle la responsabilité de le ramener à la table pour élaborer leur plan! Quand ils revinrent rejoindre Andouille et Eddy, Emilia explicita son cheminement subi.

— Dans l’analyse de ton frère Eddy, je me suis reconnue à son âge. Il éveilla en moi les désirs que je chérissais, mais ce n’est pas ce que je vous ai transmis! Maintenant, je me crois prête à adopter des comportements qui nous permettront de vivre en équilibre. En travaillant moins, je jouirai plus de la vie en votre compagnie, et je vivrai moins de stress. Qu’en penses-tu, Nathan?

— Dois-je adhérer à la philosophie commune?

— Nous cherchons à débattre nos relations futures! Tu peux être un dissident, mais il est important que tu fasses valoir ton opinion pour améliorer nos rapports de chaque jour!

Nathan comprit qu’il avait enterré dans son for intérieur, pendant ses premières années, tout désir d’une vie harmonieuse avec la présence de ses parents. Il devint pensif.

— Quand j’avais l’âge d’Eddy, je n’envisageais pas la possibilité de changer les choses. Vous étiez toujours fatigués et nous devions obtempérer à vos demandes, sinon vous nous obligiez à nous retirer dans notre chambre. Eddy fait preuve de courage en exprimant sa vision d’une famille! J’avoue qu’il m’apparaissait inopportun de vous faire part de mes états âmes! Je vous voyais tellement préoccupés par vos activités, et quand vous restiez à la maison c’était vos réseaux sociaux qui prenaient toute la place!

Emilia et Andouille, en entendant Nathan si précisément cerner leurs comportements, reçurent le ressac de leurs habitudes acquises au cours de leur vie, et n’apprécièrent pas d’en être éclaboussés! Tous les deux parlèrent au même moment, mais Andouille laissa Emilia s’exprimer,

— C’est difficile d’écouter nos enfants nous faire prendre conscience de nos habitudes plus ou moins respectueuses à leur égard et peut-être envers nous-même!

Un long silence s’en suivit.

— Il n’est pas trop tard pour y remédier! Nathan, tu voulais une voiture, t’engages-tu aux efforts qui s’imposent pour ramasser l’argent à la sueur de ton front?

Nathan répondit spontanément, et candidement,

— L’auto servait de prétexte pour compenser votre absence!

Chacun resta coi pendant un moment. Puis, Andouille brisa le silence.

— Et si nous rédigions une sorte de contrat familial, écrit et paraphé selon les attentes de chacun?

Les yeux d’Emilia s’illuminèrent à cette perspective, qui récupérait son souvenir de la maman à temps plein.

— Ne remettons pas ce travail et rédigeons-le maintenant pour ne pas nous laisser changer d’idée. Nous l’afficherons dans le salon, pour que chacun puisse le consulter en tout temps!

Sous l’effet de l’adrénaline, Nathan proposa,

— Si vous êtes d’accord, je vais m’installer à l’ordi et taper chaque point que nous émettrons. Je pourrais aussi en imprimer deux autres copies que nous afficherons sur la porte de notre chambre?

— Qui commence?

Eddy se trouvait le mieux placé pour formuler la première clause.

— Premier point : Nous devons cultiver l’amour dans notre milieu familial au même titre que nous cultivons des légumes dans le jardin!

«Oui,» intervint Emilia, échaudée par la discussion avec son mari,

— Deuxième point, Nous devons résoudre nos différends à mesure, pour ne pas nous intoxiquer!

Nathan voulait que le contrat fixe les comportements de tous les jours.

— Troisième point, Nous devons nous consulter pour les décisions qui impliquent toute la famille!

Andouille se targuait de son esprit pratique et de sa prudence.

— Quatrièmement, Nous devons vivre selon nos moyens, et nous permettre des activités familiales à l’extérieur de la maison!

— Cinquièmement, Nous permettons à nos parents de se donner une vie sociale, mais en toute modestie!

Eddy y tenait beaucoup!

«Un instant, un instant,» réagit Emilia, «c’est le monde à l’envers! Depuis quand les enfants accordent-ils des permissions aux parents?»

Eddy et Nathan se consultèrent par gestes.

«Parce que,» expliqua finalement Eddy, «les enfants ont encore besoin de leurs parents, entre autres choses comme exemples de vie, donc nous réclamons que votre vie soit gérée en conséquence!»

— Mais qui donnera la définition de modeste?

— Voilà justement quelque chose qui fera l’objet du troisième point!

Andouille hochait la tête.

— De plus, modeste se conformerait au point quatre.

Andouille s’esclaffa!

— J’ai l’impression de peaufiner les commandements de l’Église!

Eddy et Nathan ne comprenaient pas du tout la blague de leur père, et ils se jetèrent un coup d’œil qui disait, Mais, il vaporise de la cafetière! Andouille se rappela alors combien l’école avait changé.

— Quand nous fréquentions l’école, les cours de religion touchaient non seulement l’étude des commandements de Dieu, mais aussi les sept commandements de l’Église, qui se résumaient in fine à celui-ci, N’oubliez pas de donner à la quête!

Nathan ne se sentait pas très éclairé.

– Deux questions. D’abord, explique cette histoire de commandements de Dieu, et, ensuite, que veux-tu dire par quête?

Emilia rassura ses fils.

— Ne vous inquiétez, dans mon école les commandements religieux avaient disparu depuis un bout!

Nathan n’avait pas terminé ses suggestions.

— Point 6, Nous permettons à nos parents d’utiliser l’Internet pour communiquer avec leurs amis, le soir, mais pas plus qu’une heure par jour!

— Mais ce principe devrait s’appliquer également à vous! Qui veut que nous passions plus de temps ensemble?

— À discuter sous les points Trois et Quatre!

Eddy avait aussi une suggestion.

— Article 7, Nous les enfants, continuerons à fréquenter nos amis pendant la journée et à les inviter à partager un bon repas à la maison de temps à autre!

Andouille parla sérieusement cette fois-ci.

— Si nous remplaçons les sorties par des visites d’amis, et des communications en ligne, nous ne gagnerons pas grand-chose. De toute façon, les amis à la maison sont proscrits tant que durera la pandémie, vous l’oubliez, je crois!

Nathan se concentra.

– Papa a raison.

Il ne comprit pas que ses parents s’esclaffent, et il continua.

— Point 8, l’essentiel de la vie doit demeurer la vie de la famille, et les particularités par âge doivent s’y adapter, pas le contraire. C’est ce que tu as soutenu dans ta longue diatribe, n’est-ce pas, Eddy?

Eddy ne put que faire signe que oui.

Andouille et Emilia se regardèrent, et Emilia parla.

— Ce dernier point contient tous les autres. Mais nous les gardons tous, pour qu’ils nous guident dans nos discussions et nos décisions. Je pense qu’il est nocif de dresser un tas de règlements pointilleux sur les détails. Nous voulons vivre comme une famille, pas comme un syndicat.

Les quatre, sans parler, se serrèrent dans les bras des uns et des autres.

«Nathan,» déclara Andouille, «nous pouvons te faire confiance pour rédiger tout cela au propre?»

Nathan ne demandait pas mieux. Emilia rajouta quelque chose.

— Point, premièrement, article, nous ne sommes visiblement pas doués pour la classification. Nathan, rédige-nous s’il vous plaît un texte cohérent!

«Oui, oui,» ajouta Eddy, «et écris en grosse lettre le titre, AMOUR et RESPECT!»

Un cercle bleu et vert illumina toute la pièce en une fraction de seconde et Eddy s’exclama, «C’est un signe, nous gagnerons la bataille!»

nathalie besson