Manifestation monstre !

L’autre soir, tous les parcs du Québec furent envahis pour manifester contre une publicité qui sème la controverse ! Dans cette publicité, un comédien aguerri imite certains animaux pour inviter les enfants dans un certain restaurant qui leur offre des livres.

Personne ne soupçonnait l’ampleur de cette manifestation, encore moins les policiers et les services secrets qui n’avaient eu vent de ce qui préparait ! Les appels téléphoniques débordaient au 911, au point que les services furent interrompus pendant un laps de temps indéterminé, privant les citoyens des services d’urgences.

Les policiers se rendirent dans les parcs, mais ils demeurèrent pantois en apercevant le genre d’individus qu’ils devaient maîtriser ! Consternés, et impuissants devant la situation, ils se tournèrent vers la GRC, ainsi que vers l’armée, pour leur porter assistance, mais les manifestants possédaient plus d’un tour dans leur sac pour dérouter toute cette cavalerie prête à les chasser des parcs afin qu’ils retournent sagement dans leur habitat naturel !

Évidemment, la sécurité manquait de personnel pour couvrir tous les parcs du Québec, et ils ne voulaient pas assumer la responsabilité d’une hécatombe. Ils entendaient des hululements, des aboiements, des miaulements, des bêlements et d’autres bruits qu’ils ne connaissaient pas ! C’était le chaos total, même les services tactiques restèrent béats devant cette foire d’individus ! À Québec, une foule à plume, à poil et à écailles bougeait partout sur les Plaines d’Abraham.

Un des participants qui avait mis en route cette contestation, consulta ses acolytes pour déterminer les procédures à prendre face à toute ces personnes armées prêtes à les tirer. Il se porta volontaire pour être le porte-parole de toute cette meute en délire qui l’acclama ! Il se couvrit de sa doudou carrelée rouge et noire, et approcha à pas d’éléphant vers un membre de la sécurité, malgré la menace qui planait d’être abattu, et il se présenta. « Bonjour M. l’agent ! Je suis Grande Patte de la Mission de paix, nous voulons faire de mal à personne, nous revendiquons le droit de produire nos propres publicités, au lieu d’être imités par des humains ! » Les armes pointaient en direction de Grande Patte, quand le caporal signifia à ses troupes de baisser leurs armes. Le caporal, abasourdi par les propos de Grande Patte, demanda, « Ai-je bien compris vos revendications ? » Grande-Patte enchaîna, « Bien sûr ! En plus, dans ladite publicité, le comédien me traite de hautain et d’enrhumé ! »

Le caporal se pinçait pour s’assurer qu’il ne rêvait pas, et qu’il discutait bel et bien avec un orignal, discussions qui ne passaient pas inaperçues face à ses collègues ! Le caporal demanda alors, « Avez-vous un plan d’exécution que vous pourriez me remettre ? » Grande-Patte demeura coi et fit travailler ses méninges. « Caporal, nous voulons n’exécuter personne, nous voulons faire comprendre aux humains qu’ils n’ont pas à nous imiter, et que nous possédons tous les talents requis pour nous représenter nous-même ! » Le caporal enchaîna, « Quelle est votre prochaine destination ? » Grande-Patte répéta, « Destination ! Nous voulons simplement envahir les restaurants qui utilisent des humains pour nous représenter et profiter de notre visite pour nous gaver ! » Ensuite, il fit une mise au point. « Ne pas détruire ! Juste manger à notre faim ! » Les soldats, les policiers et le caporal trouvaient loufoques cette manifestation et les revendications, mais une forme d’empathie les pénétra doucement !

Le caporal consulta le sergent qui consulta le capitaine, qui avisa le sergent qui transmit ses instructions au caporal, qui donna des consignes au porte-parole. « Bon, voilà, monsieur, euh, l’orignal, nous allons vous escorter jusqu’au restaurant, où vous pourrez remettre vos revendications. » « Appelez-moi Grande Patte, » répondit celui-ci, « je consulte mes frères, puis je vous reviens. » Le caporal et son peloton demeurèrent l’arme au pied, et ils remarquèrent que l’orignal s’était allongé sur la pelouse, où l’avaient rejoint deux chats, dont un tout noir, un raton laveur, un lapin ou lièvre, un chien qui ressemblait à un loup, ainsi qu’un harfang des neiges qui se percha élégamment sur le panache de l’orignal. La discussion semblait assez animée, mais, finalement, l’orignal revint. « Nous acceptons votre proposition, mais nous ajouterions à notre réclamation la présence d’un journaliste humain, de TVA si possible, et aussi le droit de fouiller dans les poubelles du restaurant avant de repartir. » Le caporal se gratta l’occiput. « Pour le journaliste, ne vous en faites pas, ils y seront en rangs serrés. Quant à la poubelle, si vous ne laissez pas de détritus, je ne crois pas que ce soit un problème. » L’orignal se retourna, et poussa un long mugissement et deux courts.

C’était le signal convenu. Le cortège s’ébranla, mené par plusieurs castors qui portaient une banderole disant Plus de fourrure, plus de blagues animalistes ! Avec les chats, un peu en désordre, les chiens (« Ils ressemblent furieusement à des loups, » murmura un cavalier qui avait grandi à la campagne), plusieurs agneaux, un bataillon de ratons laveurs, qui marchait derrière un raton particulièrement déluré à en juger par son allure, une interminable file de pingouins qui suivaient tant bien que mal en soutenant une autre banderole qui disait Pingouins, pas pantins, des lapins et des lièvres, au moins un furet, quelques frères de Grande Patte, une girafe, une demi-dizaine d’ours bruns, et deux ours polaires, le cortège s’étendait sur un kilomètre. Néanmoins, les manifestants obéirent sagement aux consignes de la police, et Grande Patte précisa, « Nous ne sommes pas des anarchistes ! » Quelques chats grimpèrent à des poteaux, vite secourus par le camion de pompier qui fermait le défilé, mais par ailleurs le cortège se rangea en bon ordre dans le stationnement du restaurant. Plusieurs enfants s’approchèrent pour jouer avec les chats et les ratons, et les adultes voulurent tous se prendre en égoportrait avec Grande Patte. Cependant, quand le gérant du restaurant sortit pour parlementer, Grande Patte laissa ses admirateurs et rejoint le gérant.

Le caporal avait dit vrai. Une douzaine de caméras cernaient les deux délégués, et les journalistes se bousculaient pour viser leurs enregistreuses. « S’il vous plaît, » déclara Grande Patte, « nous donnons la première place au représentant de TVA ! » Le gérant roulait des yeux, car il se trouvait le point de mire de l’attention. « Monsieur, » commença Grande Patte, « nous sommes ici pour transmettre à votre entreprise notre mécontentement. Vous avez mis en onde une publicité mettant en scène de nos confrères, mais joués par un comédien, très estimé certes, mais un humain ! Pourquoi ne pas avoir confié le castor maladroit à un de mes confrères palmés, comme ceux ici présents ? » À ces mots, les castors agitèrent leur banderole. « Vous présentez de faux pingouins dans votre publicité, et en plus ils ont l’air d’idiots ! » s’écria un des pingouins. Le gérant demanda la parole. « Les pingouins, c’est une autre entreprise, pas nous. Pour notre publicité, elle dépend de la maison mère, et elle est l’œuvre d’une agence. » La réponse déclencha un grondement dans le cortège. Le gérant se reprit. « Je promets de transmettre votre réclamation à qui de droit. En attendant, mes employés vous distribuent, sur-le-champ, des trios bourrés de bonnes choses, pour vous sustenter dans votre démarche. » À la vue des cartons jaunes, les ratons quittèrent les rangs sans vergogne, et entreprirent d’ouvrir les contenants. « C’est bon ! » glapit un des ratons. Le chef raton s’avança. « Vous n’avez pas honte ? Vous vous laissez corrompre par de délicieuses boulettes de viande enrobées de bacon ! » Un des ratons, la bouche pleine, répondit, « Bourgoi bas, vinarement ? C’est ce que nous achèterions avec nos cachets, pas vrai ? »

Le journaliste de TVA ne voulait pas rater cette occasion. « Monsieur l’orignal, vous et vos frères de poil s’opposent-ils à la présence d’animaux dans les publicités ? » Grande Patte se tourna vers la caméra qui accompagnait le journaliste. « Les animaux pratiquent plusieurs vertus que les humains pourraient imiter, par exemple nous ne nous amusons pas à faire du mal à nos semblables. » « Pardon, » intervint un autre journaliste, dont l’accent embrouillait un peu l’orignal, « mais les chats torturent leur proie, non ? » Une chatte d’Espagne qui se tenait aux premiers rangs miaula de colère. « Voilà le genre de préjugé animaliste qui se répand dans les médias ! Sachez que les chattes enseignent à leur progéniture à assommer pour endormir et à tuer proprement. Les boulettes de viande ont-ils eu ce privilège ? » Le gérant essaya de se montrer conciliant. « Peut-être pourrions-nous représenter des bêtes imaginaires, comme le dragon ? » « Comment cela, imaginaire ? » grinça une voix aux pieds du gérant. Tous se penchèrent pour regarder le lézard d’environ quinze centimètres, qui se hissa rapidement sur l’épaule du journaliste. « Je suis bel et bien un dragon, un dragon poilu, et si vous voulez mettre en scène un dragon, je suis votre dragon ! » Le gérant sourit piteusement. « Mais, mais, vous ne savez pas cracher le feu, je crois ? » Le dragon poilu releva sa corolle et agita sa langue. « Non, mais les écrans verts, les effets spéciaux, les cascadeurs, ils servent bien pour les humains, alors pourquoi pas pour moi ? » « Bien dit, bien dit, » miaulèrent, jappèrent, et se manifestèrent plusieurs voix.

Le journaliste de TVA qui suivait la manifestation à Québec contacta son collègue de Montréal pour vérifier si le même phénomène se produisait à Montréal, au parc Lafontaine ! Son collègue lui confirma que les agents de la paix arrêtaient des ratons laveurs masqués en insistant, « La manifestation tourne mal, les ratons laveurs n’apprécient pas l’attitude des policiers à leur égard. Ils ont contesté en attaquant des poubelles, mais l’un d’entre eux a morigéné un agent ! » Le journaliste de Québec s’enquérait des paroles prononcées par le raton, et son collègue répliqua, « Il a mentionné que Montréal n’aimait pas les animaux et que leurs poubelles ne contenaient que du papier et des cellulaires vétustes ! » Le collègue de Montréal ajouta « Je ne sais pas comment cette manifestation va se terminer ! Tous les animaux présents confortent leur acolyte, et je t’assure que les policiers ne rient pas face à tous ses spécimens d’animaux présents ! Dans la foule, j’ai remarqué la présence d’éléphants, de loups, de lions, de guépards et des dragons, des vrais, qui crachent du feu ! Je pensais que des dragons comme cela existaient seulement dans les films d’horreur ! » Le journaliste de Montréal qui suivait cette manifestation se demandait quelle tactique les policiers utiliseraient pour la gérer les événements, et aussi si leurs communiqués de presse étaient fiables !

Bientôt, un bulletin spécial remplit tous les écrans, même des médias anglophones. À Drummondville, dans le parc Saint-Frédéric, un commando mixte avait installé un panneau d’affiche qui disait, Nous n’acceptons plus de nous laisser tondre ! Un autre commando, des lynx déguisés en marmottes, occupait le bureau du député à Rouyn-Noranda. À la demande du premier ministre, et transporté par un hélicoptère étatique, le comédien rejoint la réunion principale à Québec pour apaiser la situation. « Je joue dans cette publicité pour encourager les enfants à lire, et aussi à aimer les animaux. Nous partageons la planète, et les humains, il est vrai, l’oublient trop souvent. Je ne suis pas le premier humain à jouer un membre d’une autre espèce, pensons au Lion peureux du Magicien d’Oz. Par contre, plusieurs comédiens animaux ont tenu la vedette dans des films et des émissions, pensons à Elsa la lionne, Lassie la chienne, ou le kangourou Skippy. J’écris dès aujourd’hui à l’agence pour leur proposer que les rôles des animaux soient confiés à de vrais animaux, et surtout pour que la liberté artistique soit une liberté pour tous ! » Le harfang des neiges se posa sur l’épaule du comédien, dans un grand coup d’aile, et les manifestants applaudirent. Le journaliste se tourna vers Grande Patte, qui fixa la caméra pour déclarer, « Nous sommes satisfaits que notre manifestation ait attiré autant d’attention, et nous comptons maintenant sur les entreprises pour qu’elles mettent en œuvre la nouvelle conscience de notre existence. » Un des ratons tira le pantalon du journaliste. « Je verrais bien l’ajout d’un personnage à la publicité, le raton gourmand, et je serais modestement disposé à jouer ce rôle. » Tous, humains et animaux, rirent de bon cœur, et on se dit qu’une nouvelle ère allait commencer !


nathalie besson

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