RESPECTER SON PROCHAIN !


Je me hasarde à vous partager certaines de mes observations sur un sujet aussi litigieux que la souffrance dans le monde, et la responsabilité de chacun devant cette souffrance !


J’ai eu le privilège d’œuvrer avec des groupes populaires auprès de personnes qui supportaient des obstacles à leur réinsertion sociale sur le marché de l’emploi. Je cherchais à les aider, pour éliminer toutes les barrières que nous pouvions pour qu’ils puissent réussir leur retour au travail.


Au départ, je sais que nous ne naissons pas tous égaux dans ce monde, mais je ne m’aventurerai pas à soutenir mes propres croyances pour éviter tout dérapage. Je partagerai ici l’histoire de certains cas avec lesquels j’ai travaillé.


Je me souviens d’un jeune homme alcoolique et drogué. Ces parents étaient bénéficiaires de l’aide sociale, son oncle, chez lequel il travaillait à temps partiel, était lié à la petite pègre, d’ailleurs il fut découvert mort à coup de tournevis. Ce jeune homme détenait un DEP en dessin industriel, mais notre équipe le plaça dans une entreprise affiliée aux groupes populaires, pour qu’il fabrique des fleurs en bois. Évidemment, ce travail ne lui permettait pas de se valoriser à partir des études qu’il avait réussies, et il passait sa journée à la salle d’eau à fumer de la marijuana, avec le résultat qu’il s’est retrouvé sans emploi.


Après son départ, il avait été entendu que je le rencontrerais à mon bureau pour réévaluer son profil. Ces rencontres m’ont permis de cerner tous les problèmes que je viens de résumer, en plus de constater que son groupe d’amis vivait de la même façon. Pour apporter une solution au problème des amis, je l’invitai chez moi pour dialoguer plutôt qu’il aille les rejoindre. Au bout d’un moment, j’ai compris qu’il rêvait de devenir dessinateur, mais je cherchais un moyen pour valider ses compétences.


Heureusement, à cette période, mon mari enseignait avec des jeux de simulations, et il voulait fabriquer une table circulaire avec une carte du monde pour son cours en relations internationales. Son budget en histoire lui permettait d’assumer les coûts pour l’élaboration de cette carte. Il connaissait mon client, et sans hésitation, il accepta de lui confier le contrat. Quelques semaines plus tard, la carte était terminée, à la grande satisfaction de mon mari, le résultat impressionnait, et il ne faisait aucun doute que ce jeune homme possédait les qualifications pour occuper un poste comme dessinateur.


Chaque semaine, le noyau opérationnel, composé d’un représentant du centre de main-d’œuvre du Québec, de même que du Canada, d’un représentant des services sociaux, et de moi-même, qui assumait la permanence du cas, se réunissait pour suivre l’évolution de nos dossiers. Pour convaincre les intervenants, j’avais photographié ladite carte pour leur permettre de bien asseoir leur jugement, de sorte que deux ou trois semaines plus tard, un groupe de dessin industriel lui offrait une place.


Grâce à sa détermination, et la validation de ses propres compétences, ce jeune homme sortit d’une façon élégante de ce cercle négatif.

Tous les cas ne se terminent pas aussi bien. Lors de mes rencontres avec un autre individu, j’ai fini par comprendre qu’il avait appris à voler dès sa tendre enfance. À cette période, le chèque d’aide sociale était libellé au nom du mari, et son père, à la réception du chèque, partait à la taverne pour boire. Par conséquent, la famille ne pouvait pas manger pendant le mois. Pour pallier ce problème, il prit en charge sa famille en allant voler de la nourriture dans les épiceries.


Je me souviens d’une rencontre, alors qu’il était accompagné de son amie de cœur qui portait son enfant, il me demanda de lui donner un dollar pour effectuer son changement d’adresse. Ma réponse fut simple. « Bois une bière de moins, tu pourras payer ton changement d’adresse, et ainsi te trouver un emploi ! » Il n’apprécia pas ma réponse, et me menaça de me voler. Sans hésitation, je lui offris mon sac à main, et, déconcerté par ma réaction, il me le remit en grommelant que je n’avais pas d’argent ! Il repartit penaud, et sa blonde mentionna avant leur départ que personne ne lui parlait de cette façon ! J’appris ultérieurement que, lors de l’accouchement, il avait contacté le président des groupes populaires, à une heure tardive, pour me demander d’aller les rejoindre à l’hôpital.


Comment aurais-je pu juger ce jeune homme ? Il n’était coupable, depuis sa tendre enfance, que de voler pour nourrir ses frères, ses sœurs, et sa mère ! À sa manière, il faisait preuve de courage et d’initiative. La personne irresponsable dans ce cas était le père.


Dans le cadre de mon emploi, il est arrivé que l’on me mandate pour des dépannages de nourriture. J’avoue que cette partie de mon travail m’angoissait, car je devais fouiller dans le réfrigérateur pour évaluer les besoins, et je me sentais comme un policier, ou un juge !


Cette fois, mon patron m’explique le cas, je m’y rends, j’hésite à sortir de ma voiture, ce quartier dégage un relent de pauvreté, à plein nez, mais je dois foncer. J’arrive chez les gens en me présentant, je jase avec eux pour connaître leurs besoins, et j’apprends qu’ils sont neuf enfants, plus évidemment des deux parents, à vivre dans un petit quatre et demi. Le père souffre d’asthme, et ne peut travailler, tandis que la mère traîne une mauvaise santé dont j’ai oublié les détails. Je vérifie le réfrigérateur comme il se doit, mais il est vide !


Je m’assois avec la dame pour dresser la liste d’épicerie selon ses besoins, et pour la viande, elle me dit, « De la viande hachée ! » Pour les légumes, elle ne présente aucune exigence particulière. Je sens plus de détresse que d’appétit. Je la remercie en précisant, « Je fais votre épicerie et je reviens tout de suite vous la porter ! » Elle me lança un sourire gêné, et j’ai quitté le logement pour me rendre à l’épicerie. Vous pouvez vous imaginer que je ne me suis pas limitée à ces timides requêtes. En tenant compte du nombre de personnes, j’avais inclus dans l’épicerie plus d’une sorte de viandes, des légumes, des fruits, et quelques gâteries pour les enfants. La dame, tellement heureuse de constater le contenu de son épicerie, éclata en sanglots de joie en me remerciant !


La morale de mon histoire est simple. Pour juger les pauvres, comme je le vois souvent sur les réseaux sociaux, pour affirmer avec morgue, « Si tu es pauvre, tu ne fais pas d’effort pour t’en sortir, » ou pour lancer, « Chacun est responsable de ce qui lui arrive, », on n’a jamais côtoyé la misère humaine, celle de vraies personnes ! Avoir à choisir entre désobéir à la loi, et laisser sa famille avoir faim, avoir du talent et ne pas profiter de la liberté pour l’exprimer, devoir dire à ses enfants, nous n’avons rien à manger, c’est cela la misère humaine ! Personne ne mérite cela, pas plus que personne ne mérite d’être millionnaire. Quand on a un peu de cœur, on ne juge pas son prochain, d’ailleurs il me semble que quelqu’un a dit cela jadis, mais on lui tend la main, et on fait ce qu’on peut pour soulager la misère !


Aucune des personnes dont je viens de résumer l’histoire n’a choisi la vie qu’il devait vivre, et aucun n’a manqué d’agir et de s’investir pour améliorer son sort, pour peu qu’on lui en ait donné l’occasion. Au lieu de proclamer que chacun se débrouille, il faudrait chercher à proposer des chemins intéressants à ceux qui sont mal pris. Personne n’a le droit de juger son prochain, mais chacun a le devoir de le soulager et de l’aider. Ce n’est pas pour rien que la plus grande et la plus belle vertu, c’est la charité, qui veut dire donner sans juger et écouter sans punir !


nathalie besson

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