La distanciation demeure obligatoire si nous désirons retrouver un semblant de liberté, surtout pour les 70 ans et plus ! Je constate que les plus jeunes donnent l’impression d’être immunisés contre cette faucheuse de vie !
Après une sieste bien méritée, je me dirige vers la porte-fenêtre de salle à manger et je regarde à l’extérieur, mais je referme mes yeux, me disant, « Je rêve ! » Je dois me résoudre à accepter la réalité ! J’accours vers la chambre pour informer mon mari de la situation, mais il demeure inébranlable à mes observations ! Ma première réaction. « Je suis convaincue qu’il savait ! » Je continue à réfléchir. « Qui l’a avisé, et comment ? Il n’est pas enclin à répondre au téléphone, je suis la téléphoniste attitrée ! » Les faits m’amènent à soupçonner un complot. « C’est vrai, il a sûrement reçu un courriel et il a péché par omission ! »
Pourtant, en ces temps difficiles, nous suivons à la lettre, ou presque, les consignes émises par M. Legault et son équipe ! Je réfléchis. « Pouvait-il accepter une visite en sachant que nous pouvions être contaminés et contrevenir aux recommandations de la santé publique ? » Ma réponse ne tarde pas à venir « NON ! » Je cherche à comprendre ses motivations, et surtout à comprendre les raisons qui l’ont poussé à ne pas m’informer de cette visite, et, pourquoi il ne leur a pas répondu simplement, « Restez chez vous, et attendez que Corona nous quitte avant de planifier une rencontre !
Quand il arrive dans la salle à manger, je l’observe, et à ma grande stupéfaction, il ouvre la porte-fenêtre et je l’entends dire, « Je suis heureux de vous vous voir, Casimir et Clémentine, amenez-vous ! » J’avoue que nous ne ressentons pas la même euphorie face à cette visite ! La peur me fige et je vocifère, « Ils ne sont pas les bienvenus ! Ils ne respectent pas la distanciation, mais je les apprécie ! » J’ai l’impression de jacasser seule et qu’un mur nous sépare !
Un sentiment d’échec m’envahit ! Tous les efforts accumulés depuis des semaines m’apparaissent vains ! Une réflexion monte à la surface de mon esprit. « À quoi bon essayer de nous en sortir quand mon propre mari en fait abstraction ! » Une idée saugrenue parcourt mes neurones « Je vais dénoncer la situation aux autorités concernées ! » Mon esprit soulève une interrogation. « Qui va payer l’amende ? » Évidemment, je ne veux pas me retrouver avec des frais à remettre au gouvernement, considérant qu’il nous en réclame déjà trop ! Je repense à ma solution. « Mais non, ce n’est pas nous qui assumerons, ce sont les deux éberlués qui ne respecte pas les consignes ! » Je continue mon exploration intérieure. « Comment feront-ils pour régler la note, d’autant plus que je sens leur résistance ? » Je sais qu’en cette période faste, les autorités n’ont pas envie de rire ! Ma compassion à leur égard semble prendre le dessus. « Ouin, ils ne vivent pas dans l’abondance ! » Au même moment, j’entends mon mari m’interpeller sur le ton d’un enfant émerveillé. « Viens voir, ma femme ! » Je rétorque, « Tu les as invités en ne tenant pas compte des instructions télédiffusées chaque jour et tu prends le risque de mettre nos vies en danger ! » Il me regarde avec tellement de douceur que je me sens fondre. « Pourquoi ce regard attendri ? Veut-il que je lui pardonne son insouciance ? » J’obtempère à sa demande, et je le suis ! Il pointe quelque chose du doigt, je suis son mouvement et me voilà ébahie par cette vision ! Je vous présente mes invités qui ne respectent pas la distanciation et auxquels j’ai résisté à les dénoncer !
Je constate que je rêvais tout simplement ! Mais oui, c’était Clémentine, la cane et Casimir, le canard Colvert ! Mme Clémentine se prélassait sur le ballon dans la piscine, pendant que Casimir tournait autour du ballon ! Elle se laissa glisser sur la toile, sans mesurer les deux mètres de distanciation.
Après cette expérience surréaliste, un apéritif s’imposait pour éteindre toutes mes suspicions et bénéficier d’une agréable détente avec mon mari avant d’entamer le repas. Gardons notre cœur d’enfants ! Nos volatiles, Casimir et Clémentine, nous ont quittés, sans doute pour souper avec des amis. Leur place fut prise par d’autres visiteurs, qui profitèrent de la piscine à fond relevé pour se donner un bon bain, peut-être en vue d’une invitation à leur tour. Monsieur cardinal se lavait prudemment, pour ne pas déteindre son plumage, un couple de grives avaient réservé un coin tranquille — pas facile dans une piscine circulaire — et de nombreux piailleurs noirs et luisants jouaient à un jeu dont je n’ai pas compris les règlements.
Comme tous les samedis soir, après le repas, nous débouchons un jeu de scrabble pour agrémenter notre veillée ! Nous nous installons à la table de la salle à manger et nous nous concentrons à ciseler des mots pour enrichir notre vocabulaire et muscler notre intellect ! Je précise : ce n’est pas du cardio-vasculaire, mais du cerveau vasculaire !!! Voilà qu’un bruit inattendu nous sort de notre concentration, un clac soudain, déplaça notre attention. Nous explorons notre environnement des yeux, mais rien ne semble avoir accompli un salto arrière ! Les murs, le plafond et le plancher ne se sont pas écroulés par cette implosion ! Je dois investiguer plus loin pour comprendre ce bruit. Je me lève de ma chaise, je vais vers la porte-fenêtre, je jette un regard furtif et j’aperçois le balai complètement étendu sur la galerie. Je présente le constat à mon mari « Le vent a poussé le balai, qui est tombé ! » Je me rassois, pour continuer notre partie de scrabble, mais je me sens zyeuter de l’extérieur, je vérifie, Oups, et je chuchote à mon mari, « Je vois un homme masqué dans la fenêtre ! Il est couché sur le plancher de la galerie et il nous analyse ! »
Mon mari ne bronche pas d’un iota ! Il est au bout de la table, il regarde vers la fenêtre distraitement, mais la vision se présente à la hauteur de ses yeux. J’insiste toujours à voix basse, « Il nous regarde toujours ! » N’écoutant que son courage, il se lève de sa chaise et se déplace vers la porte pendant que je crie, « Attention ! S’il porte un masque, il est sûrement armé ! » Il s’arrête et me fixe. « Mais non ! À partir de ton interprétation, actuellement beaucoup de personnes se promèneraient armées ! » Je réfléchis. « Il a sans doute raison, mais que fait-il sur notre galerie ? » Mon mari ajoute, « C’est peut-être quelqu’un qui a besoin d’aide ! » Je me détends. « Mais oui, c’est pour cela qu’il nous observe ! Tu ne penses pas qu’à ce moment, il pourrait simplement frapper à la porte ? S’il est couché avec un masque, en pleine noirceur, c’est qu’il ne veut pas être repéré ! » Il ne fait qu’à sa tête, il ouvre la porte-fenêtre, il ne fait ni un ni deux, et il se dirige vers la cuisine avec ce sourire candide, pendant que je prends le temps de regarder minutieusement cet individu venu de nulle part et je me surprends à dire « Salut Tonton, comment vas-tu ? » En entendant son nom, toujours coucher devant la fenêtre, il se souleva sur ses pattes arrière, avec les deux petites mains qui pendouillaient sur son poitrail. Mon émerveillement l’atteint, et il s’aventura à se pencher, à gauche et à droit, pour me fixer avec ses yeux bruns, pleins d’empathie !
Eh oui, vous avez bien lu, nous découvrions Tonton, le raton laveur de la Mission de paix, qui nous faisait coucou, à travers la fenêtre. J’aurais souhaité lui faire un brin de jasette malgré la distanciation sociale, mais j’ai cru comprendre qu’il avait un rendez-vous avec une personne spéciale ! Je l’ai invité à revenir avec sa famille, que nous serions heureux de recevoir ! Ma cour attire aussi des lièvres, ou lapins, qui ont accepté d’être pris en photo contrairement à Tonton qui a fui les lieux avant que je réagisse ! Quant aux lapins, ou lièvres, je peux avouer sans l’ombre d’un doute qu’ils sont de fins gourmets. Ils aspiraient l’herbe fraîche plutôt que de se contenter de l’herbe sèche ! Je présume que l’un d’entre eux était Ludovic, lapin de la Mission de paix accompagné de sa douce ! J’oubliais l’écureuil qui est venu taquiner le lapin, ce dernier s’est retourné, comme l’adage le dit, « Vite comme un lapin ! » et l’écureuil a pris la poudre d’escampette !
Vous constaterez que malgré le confinement, nous pouvons vivre du plaisir inédit par les yeux, indépendamment de l’heure de visite ! Tonton s’était présenté à la porte-fenêtre, vers 22 heures ! Heureusement que son masque m’alerta sur son identité !
nathalie besson