Cinq cherchent Noël
Boulette laissa les chiens marcher devant, puisqu’ils s’entêtaient à suivre leur plan, et elle accorda son pas à celui des deux chattes. «Je ne comprends pas l’esprit masculin,» soupira-t-elle à Mimi, qui s’accommodait mal du froid, «nous devions tourner à gauche au sapin presque mauve qui ressemble à un pin, les instructions du monsieur à l’église ne comportaient aucun piège. Nous devons marcher dans le chemin de l’école jusqu’au sentier affiché Vers la Mission, prendre ce sentier jusqu’à la haie, longer la haie, puis tourner à gauche au dit sapin. Balou l’a entendu comme moi, mais il nous a amenés dans ce sentier dont je me méfie, je ne suis même pas certaine qu’il est vraiment un sentier, et nous voici perdus!» Mimi luttait trop contre le froid pour beaucoup verbaliser, mais elle bâilla, et opina elle aussi. «Les matous sont pareils, ils se font un plan, et refuse d’accepter qu’ils aient peut-être commis une erreur.» «Ne soyons pas injustes» miaula doucement Rosie, en se rapprochant de sa sœur pour partager de la chaleur, «Papa était tout intentionné avec maman, et il l’a tendrement aidé pour nous accoucher.» «Mais oui,» répliqua Mimi, «nous aimons bien nos compagnons, mais Boulette a raison sur le fond. Il faut revenir sur nos pas, et, quant à moi, il fait trop froid, nous devrions rentrer.»
«Arrêtons-nous sous les branches, là-bas,» gronda Boulette en direction des deux chiens, «nous pourrons nous réchauffer un peu, et nous pourrons en profiter pour revoir nos informations.» Les deux chiens se parlèrent tout bas, leurs têtes rapprochées, puis ils bifurquèrent vers le bosquet identifié par Boulette. «Tu refuses d’admettre que tu as froid toi aussi,» ricana Boulette à Balou, car elle voyait bien qu’il tremblait, «ta fourrure n’est pas du tout suffisante pour combattre le froid. Nous sommes des chiens d’intérieur, des chiens de ville, reconnaissons-le!» Charly non plus ne s’adaptait pas au froid. «Je deviens moins jeune,» soupira-t-il, «chez un petit chien comme moi, dix années humaines nous pèsent.» Rosie se blottissait contre Mimi, en particulier pour réchauffer ses pattes. «Certain que nous sommes des chattes d’intérieur,» miaula-t-elle, «nos humains d’habitude nous laissent dans notre douillette maison.» Boulette leva la tête. «Ils sont venus à une grande fête de Noël, à l'invitation des amis dans le village d’où nous sommes partis tantôt, et ils ont jugé que la durée de la visite dépassait la limite de la prudence.» Charly poussa un mini-hurlement de détresse. «Déjà que la cage m’insupporte, des heures en véhicule automobile me rendent malade.» «Le bon sens nous recommandait de rester dans la maison d’amis, au chaud, à laper et à manger!» insista Mimi, «s’évader était une mauvaise idée, je ne comprends pas pourquoi nous avons suivi Balou!» Interpellé, Balou montra les dents. «Nos humains nous amènent à l’aventure, normal de sortir explorer!»
«Tu nous as fait miroiter ce spectacle, le petit urubu qui se promène en calèche traînée par l’âne et le bœuf, là, Marie et Joseph!» Rosie se concentrait à la tâche de se réchauffer et de réchauffer sa sœur. «Je vais mieux,» dit Mimi, «mes pattes sont dégourdies, entre les branchages et ton massage.» «Heureusement,» se réjouit Rosie, «mais je voulais poser la question, si l’âne s’appelle Marie, qui est un nom humain féminin, nous avons affaire à une ânesse, non?» «Comment sais-tu cela?» gronda Balou, sur ses gardes. «Mais, je suis les émissions de télé de nos humains,» répliqua Rosie, «il faut profiter de ce qu’ils nous proposent!»
«Je suis un singe tropical!» grinça Joupasa, en sautillant comme il le pouvait pour essayer de réchauffer ses pieds et ses mains, «j’ai mangé un fruit pas frais pour avoir accepté de participer à votre recherche, là!» Ouf pencha sa tête, et poussa un mini-hurlement. «La curiosité, la curiosité, tu serais un bien piètre capucin si tu n’étais pas animé par la curiosité!» Joupasa grimaça au loup, mi ironiquement, mi amicalement. «Canidé candide, tu as raison! J’ai encouragé Marmelade à entreprendre cette promenade, car je m’interroge aussi sur le lieu mythique où son arme de moufette a permis à Grande Patte de récupérer sa doudou noir et rouge. La Mission doit beaucoup à M. Loupchat, et l’orignal et la moufette l’ont recruté. Je dirais même que cet évènement est le moment de naissance de la Mission!» Marmelade marchait devant, mais elle revint pour parler au singe et au loup. «Nous ne savions pas que nous vivions la naissance de quelque chose, Grande Patte et moi! L’orignal s’attristait de ne plus avoir sa doudou, et nous avons imaginé ce plan pour obliger les chasseurs à nous la redonner.»
Joupasa enfonça ses mains dans la fourrure du loup, qui sursauta. «Ami Ouf, si tu espères ma présence dans ce froid, tu dois m’offrir un soutien. Je protège mes mains, mais je ne t’empêche pas de te mouvoir.» Ouf tourna légèrement la tête, mais il ne prononça aucun commentaire. «D’ailleurs,» poursuivit Marmelade, «seulement lorsqu’il retrouva sa doudou pour son spectacle de danse a-t-il ressenti l’envie d'identifier l’endroit?» «Et nous voilà dans la neige à la recherche d’un conifère mythique,» feula Sémiramis, motivée surtout par le plaisir de passer du temps avec Balthazar, son ami de cœur. Elle lui lécha l’oreille gauche d’une langue râpeuse. «Tes plumets noirs me touchent toujours le cœur,» ronronna-t-elle au lynx massif qui marchait à ses côtés. «Je ne suis pas très futé!» soupira Joupasa, «moi, la créature tropicale, j’ai accepté une promenade avec un loup, une moufette, et deux lynx, créatures reconnues pour l’épaisseur et l’étanchéité de leur fourrure!»
«Je t’ai invité pour ton sens de l’observation et ta supposée acuité mentale,» expliqua Marmelade au singe, «mais si tu passes ton temps à râler, tu me feras regretter mon invitation. «Acuité mentale,» ronchonna Joupasa, «madame la moufette, vous vous souvenez de quelques bribes, dont une vague mesure de distance, ne vous attendez pas à ce que je fasse des tours de passe-passe!»
«Je vois un bel agencement de branches sous ce sapin,» annonça Balthazar, «je vous propose une halte de quelques minutes, pendant laquelle nous reposerons nos pattes, et nous pourrons réchauffer notre ami simien plus complètement.» «Et je pourrai lécher tes oreilles,» ronronna Sémiramis pour se réjouir. Joupasa sauta du dos du loup, et se glissa sans attendre dans le bosquet. «Ah!» grinça-t-il, «ce bosquet est plein de vermine!» «Nous ne sommes pas de la vermine,» jappa Boulette, «que faites-vous dans notre refuge?» «Votre refuge?» feula Balthazar, en passant la tête sous l’abri de branches, «vous êtes dans notre forêt! Et, pour commencer, quelle sorte de bêtes bizarres êtes-vous, là?» Rosie se plaça devant sa sœur. «Nous ne sommes pas de bêtes bizarres, nous sommes deux chattes, Rosie, et ma sœur Mimi. Si vous êtes un chat, de la taille au-dessus, j’admets, vous pourriez vous avancer pour les échanges rituels d’odeurs!» Sémiramis présenta précautionneusement son nez, et confirma. «Elle dit vrai, nous sommes tous des félidés, comme nos cousins de la Mission. Je suis Sémiramis, et le beau gosse aux oreilles soyeuses s’appelle Balthazar.»
Entre chats, les présentations se poursuivirent aimablement, Rosie et Mimi s’extasièrent devant la taille des pattes des lynx. «Cela nous permet de naviguer dans la neige,» précisa Balthazar, en manœuvrant ses griffes pour illustrer l’étendue de sa poigne. «Mais, mais, vous grelottez!» s’exclama Sémiramis, en se rapprochant de Mimi, «nous arrangeons cela!» Elle s’allongea aux côtés des deux chattes, pour faire un refuge de fourrure. «Installez-vous contre moi, et enfoncez vos pattes dans ma fourrure. Vous serez réchauffées en un rien de temps.» Bientôt, les trois chattes ronronnaient de concert, et Balthazar se joignit à l’harmonie, en déclarant «que c’est beau!» Joupasa se montra moins enthousiaste. «Quelqu’un pourrait me réchauffer moi, dîtes donc! La vermine, là, vous ne me semblez pas très armés pour affronter le froid.»
Ouf s’allongea à son tour. «Formons un nid vivant. Venez vous blottir contre moi, la vermine, avec Joupasa, et si Marmelade veut bien fermer le cercle, nous nous réchaufferons tous. La fourrure de moufette est dense et chaude, vous savez!» Charly se dressa, la queue en bataille. «Je me disais aussi, j’ai déjà vu ce genre de bête! Et c’est nous qu’on traite de vermine!» Marmelade tourna la tête pour fixer le chien d’un regard triste. «Nous avons à collaborer pour garder la chaleur, et voilà que vous nous lancez des insultes.» Boulette essaya de jouer les intermédiaires. «Le poilu démembré nous a traités de vermine en nous apercevant, ce n’était pas gentil non plus, mais si nous commencions par nous présenter correctement?»
Finalement, tous passèrent aux présentations. «Enchanté!» «Un grand honneur!» Charly admit qu’il rencontrait une moufette en personne pour la première fois. «Nous en avons pourtant déjà vu!» gronda Boulette, «des familles fréquentent notre terrain!» Marmelade se montra très intéressée. «Des moufettes en ville? Ma maman me conseillait de ne pas trop fréquenter les humains, ils sont sournois et avides.» Joupasa ricana. «Ta maman avait raison. Mais ceux de la Mission sont très bien.» Boulette dressa la tête. «Nos renseignements disaient de suivre un sentier, où on affichait justement Vers la Mission. C’est vous, cette Mission?» «Tout à fait», réagit Marmelade, «mais l’affiche a seulement été installée pour le festival de musique. Le Maître a décidé de la laisser là, ce qui m’étonne un peu.» «Ou un préposé a trouvé qu’il faisait trop froid pour la récupérer,» suggéra Balthazar. «Le festival est terminé depuis longtemps,» réfléchit Marmelade, «je crois qu’elle a été tout simplement oubliée.»
Balou se secoua, et avança une hypothèse. «Elle sert à guider les gens qui veulent voir l’urubu, c’est elle qu’on nous a donnée comme point de référence! Je suis mon instinct canidé, là!» Boulette jappouilla de rire. «Voilà justement ce que je disais, ton instinct canidé nous a amené dans ce bois, et maintenant ces bêtes féroces nous mangeront!» Elle se mit à pleurer. «Des bêtes féroces, où cela?» gronda Ouf, en se dressant, la queue en bataille. «Mais non, canidé distrait,» feula doucement Sémiramis, «elle a peur de nous!» Ouf écarquilla les yeux. «Mais nous ne vous mangerons pas, en tout cas pas si nous finissons à temps pour le souper à la Mission. Mais je suis curieux, vous êtes des canidés? Comme moi?» Charly se rapprocha d’Ouf. «Tout à fait! J’ai vu à la télévision que nous sommes descendants de loups préhistoriques, très gros apparemment.» Ouf hurla de rire. «Visiblement, vous ne retenez pas de vos ancêtres. Savez-vous hurler, au moins?» «Mais oui,» s’empressa de dire Balou, et il dressa la tête pour émettre un hurlement, plutôt sotto voce, mais quand même bien tourné.
«Pouvons-nous revenir à cette histoire d’affiche?» miaula Rosie, qui cherchait à garder le cap sur le but de l’expédition. «L’humain du village nous a indiqué de marcher jusqu’au sentier, de suivre la haie, puis de tourner à gauche au sapin presque mauve qui ressemble à un pin. Il a parlé de cette affiche, justement. Il fait trop froid, nous n’aurions pas dû nous engager.» Balthazar se tourna pour aider Rosie à se blottir dans sa fourrure. «Ne vous en faites pas, nous vous assisterons.» La queue de Marmelade se mit à bouger dans tous les sens. «Voilà! Voilà où était la doudou de Grande-Patte, dans une tente sous un sapin presque mauve qui ressemble à un pin!» «Eh, attention à la queue,» se plaignit Joupasa, qui se réchauffait tranquillement couché contre Ouf. «Pardon,» réagit Marmelade, «mais madame la chatte, si vous pouvez retracer le chemin jusqu’à l’affiche, nous pourrons suivre la consigne de l’humain, à l’envers, et retrouver le sapin en question!»
«Pourquoi cherchez-vous le sapin mauve, je suis curieux?» demanda Balthazar. Boulette se sentait mieux, et elle eut envie de parler directement au chat hors-norme qui lui avait fait peur. «Il paraît que les humains montrent un spectacle amusant, un urubu traîné par des rennes!» «Mais non, par des ânes,» corrigea Balou, «les humains du village en sont très fiers!» Balthazar pencha la tête vers Sémiramis, questionna Marmelade du regard, qui, elle, donna un coup de tête à Ouf. «Peut-être pourriez-vous nous ramener à l’affiche?» suggéra Joupasa, pour mettre fin au malaise. Boulette s’avança fermement. «Je peux nous ramener au point où, selon moi, nous avons cessé de suivre le chemin tracé par le vieux monsieur du village. De là, nous pourrons trouver le sentier dont il parlait, et le suivre jusqu’à la haie. La haie nous mène au sapin mauve qui ressemble à un pin!» «Presque mauve,» précisa Marmelade, qui s’appliquait à coordonner ses souvenirs avec les instructions de Boulette. «Mais alors, activons-nous,» grinça Joupasa, «puisque nous nous promenons par un tel froid, ne perdons pas de temps!»
«Attention, ordre et méthode,» feula Sémiramis. «Premièrement, protégeons les frileux. Joupasa voyagera sur Ouf, Mimi et Rosie, c’est bien cela, s’agripperont, à Balthazar et à moi, et je crois que si les mini-loups marchent sous nous, ils obtiendront protection du froid, du moins du froid mordant.» «Nous serons quand même utiles,» miaula Mimi, «nous resterons aux aguets pour les indices de la piste!» Boulette rappela qu’elle devait précéder la troupe, pour reconstituer le chemin. «Je marcherai près de toi,» proposa Marmelade, «de toute façon, je dois aussi me remémorer le chemin.» Joupasa soupira longuement, alors chacun prit sa place et la troupe s’ébranla. Boulette marchait posément, et commentait tout haut les repères qu’elle identifiait. «Ici, un tronc de bouleau avec une branche cassée, cela va.» «Ce tas de pierres se trouvait à notre droite, nous devons donc le contourner à notre gauche, parfait.» «Là, ce bout de clôture, je ne me souviens pas.» Balou s’avança. «Oui, j’ai cru que c’était le repère du sentier! Je me souviens! Donc, à gauche!» Boulette sentit l’air, et poussa un mini-hurlement. «Tu as raison, grosse bête, à gauche!»
«Mais oui,» Marmelade s’illumina au bout de quelque pas, «je me souviens du bosquet de hêtres, Grande-Patte et moi nous y sommes cachés. Il a poussé, dites donc!» «Alors, là, regardez,» jappouilla Ouf, «l’affiche qui annonce, Vers la Mission. Mais elle indique un chemin très long, nous prenons un sentier beaucoup plus court.» «Aucune importance,» remarqua Rosie, «nous suivons des indications pour voir le renne et les urubus!» Mimi s’était endormie, donc elle ne parla pas. Marmelade dressa sa queue, et entreprit de sentir partout. Boulette jugea utile de la laisser travailler, et en effet, au bout de quelques minutes, elle plongea dans un fouillis de sapinages, et émit un cri de joie. «Voilà, le sapin presque mauve qui ressemble à un pin. Attendez, je vois quelque chose.» Marmelade gratta avec ses pattes, et essaya de tirer, mais elle ne réussissait pas. «Je vois bien quelque chose, mais je ne peux l’atteindre.» Ouf mit son nez et voulut saisir l’objet, mais il ne disposait pas d’assez d’espace.
«Tant pis,» hurla presque Joupasa, «nous avons trouvé ce damné sapin, prenez une photo et retournons à la chaleur.» Marmelade regarda le singe tristement. «Ce serait dommage, si nous avons devant nous une relique!» «Mais un instant,» jappa Balou, «je suis une sorte de terrier, du moins par mes ancêtres, habile pour me faufiler dans les coins pénibles. J’y vais!» Le chien gronda dans sa gorge, puis il poussa, creusa avec ses pattes, tourna par ici, tourna par là, émit un cri de douleur, puis il sortit victorieusement. «Je l’ai, je l’ai,» et il exhiba une casquette carrelée, noire et rouge, tout comme la doudou. «Je sais ce que c’est!» s’exclama Marmelade, «c’est la casquette d’un des chasseurs, peut-être celle de M. Loupchat lui-même! Petite vermine, vous avez sauvé une relique!» Ouf s’accroupit pour humer la casquette, et Joupasa, oubliant le froid, la saisit pour examiner et vérifier. «Marmelade a raison, regardez ici, une étiquette avec des initiales. On lit mal la première, mais la deuxième est nettement un L! Un indice!»
«Mais si nous sommes au sapin presque mauve qui à l’air d’un pin,» suggéra Charly, «nous approchons du spectacle d’urubus chantants! À droite, je crois!» Mimi et Rosie miaulèrent ensemble. «Ah non, nous avons eu assez froid, nos amis rentreront à leur Mission, et nous devrions en faire autant!»
Sémiramis, Balthazar, et Ouf se regardèrent. «Écoutez,» miaula Sémiramis, «nous nous sommes fait de nouveaux amis, et nous sommes à la veille de Noël, la fête du don par excellence, et nous ne vous abandonnerons pas! Blottissez-vous dans notre fourrure, et nous visiterons les urubus ensemble!»
Joupasa ouvrit sa bouche pour protester, mais Ouf le fixa dans les yeux, et gronda, «Noël!», alors il murmura simplement, «Oui, Noël» et il se creusa dans la fourrure du loup! Rosie passa sa patte sur le nez de Mimi, et leurs regards confirmèrent leur accord pour accepter l’offre de Sémiramis. Balou prenait un petit air triomphant, et ni Boulette ni Charly n’osèrent rechigner. «De toute façon, ce n’est plus loin,» déclara Sémiramis, «courage!» Elle déplaça une branche et posa une de ses grandes pattes pour ouvrir un sentier.
Les chiens se sentirent un peu plus à l’aise, car la troupe marchait maintenant dans la rue d’un village humain. «Le village attire des habitants depuis l’essor de la Mission,» expliqua Ouf, fier de se retrouver une sorte de patriarche pour ses cousins de race. «En effet,» rajouta Marmelade, «et cette casquette te va très bien!» Ouf grogna tout bas. «Si je la transporte dans ma bouche, je ne pourrais plus parler!» Joupasa rit légèrement. «Pour ma part, je ne m’en plaindrais pas!» «Un peu de respect pour ton chauffe-main!» commenta Ouf. «Voilà le centre communautaire,» expliqua Marmelade, car la troupe arrivait dans un stationnement enneigé, entourant un édifice de deux étages en belle brique brune. «Des humains sont regroupés au bout, là», rapporta Charly, qui avait poussé une reconnaissance discrètement.
Tous rejoignirent la réunion humaine, et Balou jappa sa déception. «Je ne vois pas d’urubu ni de rennes!» Joupasa, les mains sans doute réchauffées, sauta du dos du loup, et se planta face au chien. «Je comprends maintenant, vous avez mêlé les sons! Nous sommes devant une crèche, une décoration de Noël humaine, qui prétend figurer la naissance du petit Jésus, pas d’un urubu!» Charly poussa un doux hurlement. «Mais oui, nous en voyons près de chez nous, nos humains aussi pratiquent cette tradition! Balou, tu n’as jamais rien remarqué?» «Et Marie et Joseph?» «Regarde bien,» ajouta Joupasa, «l’humaine est la maman, c’est elle Marie, et l’autre c’est le papa, Joseph!» Sémiramis feula un rire. «Bien sûr, pour un bébé il faut un papa et une maman! Pareil pour toutes les espèces, y compris les urubus, mais la crèche n’en montre pas.»
«Ah, mais,» jappouilla Charly, «nous ne voyons pas de renne, mais nous voyons bel et bien un bœuf et un âne, regardez de chaque côté du bébé!» Tous se concentrèrent un moment, pour admirer sans aucun doute un immense taureau noir qui se tenait à la gauche du panier contenant le bébé. «Mais dites donc,» s’étonna Marmelade, «ce taureau, c’est Marmaduke!» «Toi, tu es Marmelade, non?» demanda Boulette, qui analysait attentivement le tableau. «Oui, lui s’appelle Marmaduke, il est un très vieil ami de Miaoumé, mais il préfère vivre au Fenil plutôt qu’au nouveau complexe de la Mission.» «J’ai vu un taureau comme cela à la télévision de mes humains,» dit pensivement Balou. «Bien sûr, Marmaduke est un Angus, une fière espèce, mais que les humains aiment manger!» Rosie n’était pas de bonne humeur, et elle se permit de remarquer que les Angus n’avaient pas de cornes. Marmelade lui parla discrètement. «Marmaduke porte des cornes, il tient cela de sa maman, qui, comment dirais-je, participait d’une autre race!» Marmelade leva la queue, et déclara, «D’ailleurs, je vais de ce pas le saluer!»
Sémiramis était déjà aux côtés de l’âne, qui se révéla être une ânesse. «Mais vous ne faites pas partie de la Mission?» feula-t-elle. «Ah non,» braya l’ânesse, «je ne sais pas si j’ai le droit, je suis ici temporairement, pour participer au spectacle. J’habite le Mexique, normalement, et dans ce pays, je gèle!» «Une ânesse,» dit pensivement Sémiramis, «un hasard, ou vous ont-ils recruté spécialement?» L’ânesse soupira. «Je crois qu’il y a un rapport avec le personnage de Jésus, devenu grand il se promènera sur une ânesse. Je jouerais ce rôle aussi, au printemps. Mais je ne sais pas, à cause du froid!» Elle soupira encore. «Je m’appelle Zorrina, pourtant je n’ai rien d’un renard. Chez moi, je jouais souvent ce rôle, de réchauffer le petit Jésus, et on m’a recruté, car ici on manque d’ânes, apparemment!» «Les oreilles, peut-être,» commenta Sémiramis, «elles vous donnent un air subtilement vulpin! Nous avons un ou deux renards à la Mission!» L’humain qui jouait Joseph se pencha vers Sémiramis. «Veuillez quitter la scène, s’il vous plaît, vous faussez tout, il n’y a pas de lynx en Judée. Encore moins, le soir du premier Noël!» Sémiramis gronda un peu. «Mais un lynx réchaufferait le petit Jésus plus efficacement que cette pauvre ânesse, qui se les gèle! Mais c’est bon, je retourne avec mes amis!»
«Nous nous sommes gelé les pattes pour voir un tableau de Noël, comme il y en a près de chez nous?» gronda Rosie, encore inquiète pour sa sœur. «Mais non,» miaula doucement Sémiramis, «vous vous êtes gelé les pattes pour que nous puissions vous secourir, pour que nous puissions travailler ensemble pour retrouver l’arbre mythique de la doudou de Grande-Patte, et pour que nous puissions nous faire de nouveaux amis. S’entraider, créer des liens d’amitié, oublier les tracas, voilà pourquoi les humains ont inventé Noël.» Ouf se pencha vers les petits chiens. «Voilà aussi pourquoi Miaoumé, et Coccinelle, et Tonton, et la Renarde, et les autres, ont inventé la Mission de paix. Maintenant, vous en faites partie!»